Deux cents ans après la première publication du roman Frankenstein ou le Prométhée moderne, depuis maintes fois adapté au cinéma, Haifaa al-Mansour s’intéresse ici à son autrice, Mary Shelley. Plusieurs longs métrages ont déjà mis en scène les circonstances dans lesquelles la jeune femme d’à peine dix-huit ans s’est lancée dans l’écrire de son premier roman devenu un véritable mythe fondateur, mais la réalisatrice a ici voulu faire la lumière sur certains événements antérieurs moins connus de sa vie afin de mieux comprendre son œuvre, espérant faire émerger l’essence de son inspiration. De nombreuses théories – mêlées à des déclarations de l’intéressée – suggèrent que l’œuvre de Mary Shelley fut inspirée par sa propre vie, et que ses traumatismes y surgissent de manières allégoriques. Malgré une honorable tentative de mettre à nu les démons de son héroïne – servie par la saisissante intensité de l’interprétation de la jeune Elle Fanning –, Haifaa al-Mansour ne parvient pas à faire éclore la passion de ses personnages et nous livre une œuvre trop sage et convenue au regard des sujets qu’elle aborde.
Pour la réalisatrice le processus de création de Frankenstein ou le Prométhée moderne semble avoir débuté dès la naissance de Mary qui se considère, tel le monstre qu’elle va inventer, « mise au monde pour être abandonnée ». Par sa mère, morte quelques jours après sa naissance, par son père qui la reniera pour son mode de vie, par son premier enfant qui sera emporté par la maladie, puis bien sûr, par son grand amour le poète romantique Percy Bysshe Shelley. La figure du monstre se dessine à mesure que les relations entre les personnages s’affinent, entre trahisons, cruauté et résilience. Mary ne supporte plus sa propre existence et son malheur dont elle ne s’estime pas responsable, et va alors utiliser l’écriture comme exutoire. Percy prend les traits du créateur Frankenstein, et son amante ceux d’une créature emplie de désespoir et de rage. Malheureusement à trop vouloir exposer sa vulnérabilité, la réalisatrice finit par transformer la digne guerrière en créature fragile inspirant la pitié, acceptant toutes les humiliations et compromis par amour. Haifaa al-Mansour réussit cependant à retranscrire le sentiment d’enfermement des personnages dans leurs conditions et dans leur solitude désespérée à travers sa mise en scène. Ils ont à peine la place de bouger dans le cadre et tournent souvent en rond, leurs corps piégés semblent suffoquer.
Tentative féministe
Le féminisme traverse le film en filigrane à travers notamment l’évocation de la mère de Mary, autrice féministe et anticonformiste du pamphlet Défense des droits de la femme, et le combat de Mary contre la misogynie maladive de l’époque, elle qui devra accepter que la première édition de son livre soit publiée de manière anonyme. Mais la réalisatrice déçoit ici également par le traitement assez superficiel de l’émancipation de la femme, un des plus grands désirs – et défis – de Mary Shelley étant de s’affranchir de sa condition de femme dans une société patriarcale. Cela déçoit d’autant plus de la part de Haifaa al-Mansour, première femme saoudienne réalisatrice qui a dû braver de nombreux interdits pour réaliser dans son pays d’origine son premier long métrage en 2012, Wadjda. Son arrivée à Hollywood, en plus d’être surprenante, l’a semble-t-il détournée de son ambition militante. Le film apprendra tout de même à ceux qui l’ignoreraient encore que Frankenstein est bien plus qu’une histoire de monstre.