Wadjda, douze ans, habite dans la banlieue de Riyad. Petite fille malicieuse, elle rêve pendant les cours, écoute du rock et porte des baskets : un esprit frondeur dans un royaume cadenassé par la religion, les convenances et les interdits. Comble d’audace, elle veut à tout prix s’acheter un vélo pour faire la course avec son ami Abdallah, quand bien même le régime interdit cette pratique aux femmes. Contrainte de se débrouiller seule pour réunir l’argent, Wadjda décide contre toute attente de s’inscrire à un concours de récitation coranique afin de gagner la récompense.
Auréolé d’une belle réputation festivalière, Wadjda affiche fièrement sa double singularité : premier film entièrement tourné en Arabie Saoudite, il a été réalisé par une femme, défiant tous les tabous. Sous la fable enfantine, Haifaa al-Mansour remet en cause le conservatisme de son pays et porte haut et fort une soif de liberté et d’émancipation. Si le message inspire le respect et la sympathie, la mise en scène et le scénario restent bien sages. Mais ce joli conte ne manque pas de charme et pourrait toucher le jeune public.
Haifaa al-Mansour construit sa parabole autour d’une intrigue très classique, qui a notamment fait les beaux jours du cinéma iranien. Ainsi Le Costume de mariage d’Abbas Kiarostami, Le Ballon blanc de Jafar Panahi ou encore Le Cahier d’Hana Makhmalbaf développent plus ou moins la même trame : un enfant cherche à posséder un objet ou à satisfaire une envie, mais rencontre en chemin une longue série d’obstacles. Sa quête se transforme en aventure initiatique, où chaque situation révèle les problèmes et contradictions d’une société. Wadjda ne déroge pas à ce programme et joue sur le décalage entre les motivations de l’héroïne et sa ligne de conduite : pour s’affranchir du dogme, elle devra psalmodier le Coran ! L’apprentissage des sourates perd ici tout caractère sacré et prend la dimension prosaïque d’une épreuve à passer – la fillette s’entraîne d’ailleurs avec un quiz façon « Questions pour un imam »… Le film séduit quand il choisit la subversion et tourne en dérision les symboles du pouvoir : la moustache de l’homme politique devient sujet de moquerie, le père apparaît comme un gamin fondu de jeux vidéo.
Soucieuse de rendre son propos explicite, la réalisatrice n’évite pas certains écueils didactiques. Malgré une volonté de sortir du manichéisme, les personnages secondaires demeurent sommairement dessinés : la mère et la directrice de l’école, l’une complice et l’autre ennemie, incarnent les deux pôles féminins entre lesquels Wadjda doit naviguer. La vision de l’enfance reste également superficielle et se définit par ses traits les plus communs – le rêve, l’obstination et la ruse. Si certaines scènes prêtent bien sûr à sourire ou s’attendrir, les sentiments de Wadjda manquent de trouble et d’ambiguïté. En découle un récit assez prévisible, qui peine à retranscrire le bouillonnement de la jeunesse. Si Kiarostami ou Panahi étiraient le temps, laissaient durer les plans afin de saisir un naturel quasi documentaire, Haifaa al-Mansour procède à un découpage plus conventionnel, surtout dans les séquences d’intérieur, où le montage a tendance à surligner les émotions et à lisser le jeu des comédiens. Le film gagne par contre en force quand il prend la rue pour décor : inondé de lumière, le cadre permet enfin à l’œil de se promener dans l’espace, de découvrir un paysage inédit à l’écran et d’observer quelques instants de grâce, dans la meilleure tradition néoréaliste.
Cela dit, Wadjda présente un ton suffisamment rafraîchissant pour atteindre son but : faire éclore une voix de résistance et de tolérance en adoptant la forme du conte. Avec cette histoire simple, reposant sur des éléments a priori universels (l’amitié naissante entre deux enfants, les rapports familiaux, l’apprentissage des règles et leur nécessaire transgression), la cinéaste souhaite avant tout éveiller les consciences des plus jeunes spectateurs, qui pourront s’identifier à Wadjda, comprendre ses désirs et ses tourments, tout en s’interrogeant sur sa condition.