Pensé comme un prolongement direct du chef-d’œuvre de Tobe Hooper, cet énième Massacre à la tronçonneuse fait table rase des sept films précédents de la franchise pour mieux en reconduire le principal enjeu : accumuler les cadavres comme on empile des quartiers de viande sur un billot. Nul reset ici, mais bien plutôt un bis repetita où la violence sèche et terrifiante des débuts a cédé le pas à la surenchère gore. Et force est de constater que cette suite, à son meilleur, remplit le contrat : la scène la plus jouissive du film est précisément un carnage dans un bus enfiévré et transformé en antichambre de l’enfer, au cours de laquelle un Leatherface exalté découpe tout ce qui bouge et peinturlure le lieu clos à coups de furieuses giclées de sang. Ici, rien ne nous est épargné des charcutages effrénés du célèbre boucher texan (bras arrachés, troncs tranchés en deux, décapitations, éventrements, tout y passe), sa sauvagerie tous azimuts trouvant alors dans la réalisation pleine de panache du nouveau venu David Blue Garcia l’occasion idoine de constituer un spectacle en soi.
Mais plutôt que de foncer tête baissée dans le genre pour livrer une copie rentre-dedans et mal dégrossie, ce Massacre à la tronçonneuse s’applique toutefois, comme trop de slashers récemment sortis, à jouer les élèves studieux et à s’acheter de surcroît une bonne conduite, tirant aux forceps un sous-texte artificiel qui finit par tuer dans l’œuf tout barouf libertaire. Si David Blue Garcia jette des coups furtifs dans le rétroviseur (une des premières victimes découvre le « vrai » visage de Leatherface dans celui d’une voiture accidentée), ce n’est nullement pour rendre hommage au film de Hooper (les deux œuvres n’ont esthétiquement rien à voir). Il s’agit davantage de bégayer ses références pour mieux satisfaire à ses fétiches publicitaires et au cahier des charges escompté. Au fil du temps, la tronçonneuse tournoyant dans les airs ou transformée en porte-clés est devenue autant une marque de fabrique qu’un étendard consensuel. Si l’on massacre encore copieusement en 2022, c’est avec l’assentiment complice du spectateur que l’on fait mine de déranger tout en lui tapant sur l’épaule et en le gratifiant d’un show à la hauteur de ses attentes.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’essentiel de l’action du film se situe dans la ville fictive de Harlow, sorte de décor désaffecté de western où Leatherface fait moins figure de fantôme que d’attraction horrifique (idem pour la fausse revenante Sally, déguisée en pseudo chérif ridicule pour effectuer son ultime tour de manège). L’aberration scénaristique transformant sciemment un tel endroit, aussi reculé et poussiéreux, en hypothétique lieu à la mode, renforce l’idée que le contexte tient de la foire et constitue une toile de fond sans épaisseur. Rapidement transformés en pantins, les ambitieux influenceurs ont surtout pour but d’actualiser la franchise. Tout juste permettent-ils de renouer, mais très brièvement, avec la question originelle du territoire. En voulant exproprier la mère de Leatherface, ces jeunes gens vont en effet commettre l’irréparable et réveiller son courroux. Libéré de sa léthargie, le monstre va s’employer dès lors à occuper tout l’espace (il est partout chez lui et semble être de tous les plans, y compris lorsqu’il rôde dans le hors-champ), voire même à s’afficher à l’écran comme un bloc de résistance face à l’invasion bobo. Il serait toutefois exagéré de déceler là une critique frontale de la gentrification (les rednecks vs. les bobos), seulement esquissée à la manière d’un vain slogan. Qu’on ne s’y trompe pas : tout occupé à faire le spectacle et à entretenir son aura, Leatherface ne lutte jamais que pour lui-même. Sa survie en dépend.