Rares sont les films, y compris documentaires, à être aussi directement immergés dans l’actualité médiatique et politique que Media Crash, réalisé en quatre mois pour être achevé le plus tôt possible avant l’élection présidentielle. Le film ne prétend aucunement faire œuvre de cinéma, mais plutôt proposer une contribution « citoyenne » aux malaises que rencontre aujourd’hui un débat public de plus en plus privatisé par les neuf milliardaires qui possèdent en France 90% des grands médias. Ce faisant, il ne saurait être apprécié que sur ce terrain purement journalistique et sociopolitique, où il ne déborde pas pour autant d’ambition. Il propose avant tout une synthèse pédagogique des grandes affaires de collusion entre le pouvoir – surtout économique, parfois politique – et les médias qui ont émaillé l’actualité depuis la sortie des Nouveaux chiens de garde (2012), frère aîné à la fois plus partial, plus fouillé et plus original dans sa forme que Media Crash, qu’on peut à ce titre regarder comme une sorte de nouvel état des lieux de la question.
La comparaison entre les deux films fait apparaître la singularité de la situation actuelle : là où le documentaire de Gilles Barbastre et Yannick Kergoat décrivait essentiellement comment les grands médias promeuvent, même indirectement, un consensus libéral mou, Valentine Oberti et Luc Hermann mettent en exergue la nouveauté de la stratégie de Bolloré, à la fois plus offensive, explicite et droitière. Sur cet aspect, le film a le mérite de ne pas se cantonner à une confrontation caricaturale du type « Mediapart vs. CNews », dans la mesure où il donne également la parole à des personnes issues d’autres médias ayant été confrontées à la violence du système Bolloré (ex-journalistes d’Europe 1 ayant préféré quitter la rédaction après l’arrivée de l’homme d’affaires au capital du groupe Lagardère, responsables du Monde ayant subi des pressions financières liées à des enquêtes sur les affaires de Vivendi en Afrique, etc. ). Il n’en reste pas moins qu’en se focalisant sur cette figure-repoussoir, tout en mêlant à ce dispositif une critique des mécanismes de connivence plus discrets entre le pouvoir et la presse, Media Crash tend à aplanir les différents cas de figure et ne distingue pas suffisamment les différentes situations qu’il pointe du doigt.
Une discordance résonne alors entre l’ambition annoncée par le sous-titre du film (« Qui a tué le débat public ? ») et l’utile piqûre de rappel proposée : non seulement la réponse apportée à la question posée est éminemment partielle (la privatisation toujours plus concentrée des médias est certainement l’un des facteurs déterminants de l’actuel délabrement du débat public, mais pas le seul), mais il y a également quelque chose d’ironique à déplorer la fin du débat public pour proposer soi-même une explication relativement unilatérale du climat actuel. Traversé par une opposition binaire entre des médias de milliardaires et des médias indépendants qui serviraient l’intérêt public, Media Crash est autant un manifeste pour la liberté de la presse qu’une entreprise d’autopromotion pour Mediapart et Cash Investigation, dont le film rappelle de nombreuses enquêtes retentissantes. Peinant à esquisser des perspectives inattendues, qu’elles soient critiques ou constructives, le film n’aura en fin de compte pas d’autre vertu que de rafraîchir la mémoire des électeurs de gauche et de les conforter dans leurs inquiétudes.