Voilà cinq ans qu’on était sans nouvelles de Bernard Bellefroid, depuis son premier long métrage La Régate, histoire de libération touchante bien qu’un peu scolaire et indécise entre âpreté et pathos. Melody marque des retrouvailles au goût étrange, puisqu’il n’est pas sans renvoyer à certains caractères de La Régate qui, qu’ils aient été de bonnes ou de moins bonnes choses, deviennent ici des poids. En particulier, on se rappelle que La Régate se terminait par un éclat de sentimentalisme impromptu mais vibrant, où le mentor a priori endurci joué par Sergi Lopez lâchait une larme. Dans Melody, c’est le personnage principal et éponyme qui se laisse aller, non à une larme mais à un long torrent de sanglots, comme pour déverser toute l’émotivité que le film, jusqu’à ce moment, a soigneusement retenu derrière l’âpreté, même dans les conflits ouverts. Or c’est peut-être cette dichotomie, trop franche et ostentatoire, entre ce finale démonstratif et ce qui le précède qui fait qu’on croit bien moins à cette libération de l’émotion : elle intervient ici comme une conclusion appuyée, un coup de force d’autant plus forcé que jusque-là, le récit s’est soigneusement chargé de baliser ce qu’il finit par libérer ainsi.
Scénario porteur
Revenons en arrière. Melody, jeune galérienne de la vie qui gagne un peu comme coiffeuse à domicile, rêve d’ouvrir un salon. Pour toucher l’argent nécessaire, elle s’offre comme mère porteuse en trichant sur ses informations personnelles. La riche (et moins jeune) Anglaise en mal d’enfant qui achète ses services ne tarde pas à la démasquer, et s’assure par la contrainte qu’elle ne disparaisse pas dans la nature avant que le contrat soit rempli. Voilà les deux femmes collées ensemble, entre compréhension mutuelle et désirs conflictuels (et si, finalement, Melody se voyait maman ?). On se laisserait volontiers porter par ce parcours chaotique, si seulement il ne donnait pas l’impression que chaque scène existe moins pour elle-même que comme prétexte à la suivante. Une scène de coiffure chez une vieille dame compatissante est là pour amener au projet de salon, lequel n’est qu’un prétexte pour le plan de gestation pour autrui — la fameuse « GPA », thème tendance ces jours-ci mais qui n’est pas le sujet du film, ne créant des enjeux que pour deux choses : alimenter la confrontation entre les deux femmes, et justifier le coup de force larmoyant final. Tout le film tourne ainsi autour du face-à-face entre deux archétypes féminins : la jeune de classe populaire prête à tout pour s’en sortir, et la bourgeoise plus posée mais inquiète pour son avenir.
Croissance difficile
Ce serait moins décevant si les deux personnages s’avéraient un peu plus que cela : deux archétypes sociaux mis en branle par le désir de maternité, et qu’aucune scène n’aide vraiment à dépasser cette condition comme personnages dont on puisse appréhender l’humanité au-delà des schémas. Le regard que la mise en scène pose sur ces femmes n’aide pas non plus, pas vraiment proche d’elles, réfugié derrière la vision distante de celui qui voit des personnages avant des fragments d’humanité, notamment enclin à la caractérisation sociologique quand elles sont séparées : à Melody la précaire, la caméra à l’épaule et les déplacements filmés en collant à la nuque, à la manière des frères Dardenne ; à la riche Anglaise, les cadrages plus posés.
Bellefroid applique au fond une conception très scolaire du cinéma : des principes de mise en scène appliqués mais académiques en guise de point de vue, et un scénario dont les rouages corsètent les possibilités du film d’explorer son sujet. C’est une menace qui planait déjà sur La Régate, lequel y échappait plus ou moins, et on aurait pu espérer, après tout ce temps, que le cinéaste prenne ses distances avec un tel académisme. C’est peu dire qu’on est déçu devant ce qui ressemble à une régression : avec Melody, Bellefroid semble s’être raidi sur une approche plus soucieuse de bien faire son film que d’en approcher sincèrement la dimension humaine.