Deux frères, une sœur, des illusions perdues et des montagnes de remords et de regrets : pour son premier long métrage, Bertrand Guerry (producteur notamment de Le Clan de Gaël Morel) ne craint pas de se prendre les pieds dans les archétypes du drame familial tel que le cinéma français en pond une douzaine par an. Avec Mes frères, il tente de dépoussiérer le « genre » en s’attachant à un petit monde auquel nos cinéastes s’intéressent peu (le rock français, en l’occurrence ici un petit groupe indé dans les années 1990) et en lui imaginant un présent pas très rose sous le ciel bleu d’une île au large des côtes bretonnes.
C’est là que vivent Eddy et Rocco, deux frères qui ont remisé leurs guitares au placard après avoir connu leur heure de gloire vingt ans plus tôt. L’aventure musicale, synonyme de fêtes et d’excès, s’est terminée tragiquement (on ne dira pas comment) et les séquelles sont lourdes : Eddy s’est enfermé dans un mutisme inexplicable et Rocco, très amoindri physiquement, traîne son mal de vivre entre provocations minables et beuveries tout en tentant d’élever son jeune fils, Simon, déchiré entre l’amour et la honte pour ce père pas très présentable. C’est là, dans la représentation de cette vie subie ou vécue par intermittences, que le film tente de trouver sa voie. Le choix du décor (un petit port de pêche), avec ses maisons blanches, ses plages paisibles, ses petits troquets et ses routes désertes, convoque une atmosphère faussement sereine, que le cinéaste sait installer à travers un vrai sens du cadre et du découpage.
Hystéries familières
Si Bertrand Guerry fait preuve ici d’un talent certain pour la mise en scène, il est perpétuellement empêché dans son projet par son scénario et ses interprètes. L’écriture enfile les énormités comme des perles : à la trop grande lisibilité d’une intrigue archi-balisée se superposent des dialogues lénifiants qui empêtrent les personnages dans des caricatures, bien peu aidés par des acteurs en roue libre qui peinent à jouer juste. Entre le père alcoolique-et-rongé-par-la-culpabilité et son frangin bienveillant-mais-meurtri, la scénariste Sophie Davout a imaginé celui d’un enfant bien-plus-adulte-que-les-grands qui oscille entre une maturité trop vite acquise et la naïveté propre à son âge. Bref, rien de neuf sous le soleil, si ce n’est que la narration s’applique méthodiquement à cocher les cases du drame mi-social, mi-familial : crises d’hystérie, hospitalisation, moments de doutes et fragiles feux de joie, jusqu’à l’évasion d’une clinique en mode pieds nickelés, qu’on jurerait avoir déjà vue et revue cent fois ailleurs.
Dans son dernier tiers, le film voit ré-apparaître le personnage de la sœur des deux frangins (interprétée par Davout elle-même). Plutôt que de faire respirer le film, elle le cadenasse un peu plus dans son rythme binaire euphorie / hystérie (parfois dans la même scène) qui culmine lors d’une révélation que l’on n’attendait plus (le trauma initial, qui a plongé la fratrie dans son quotidien sordide et impacte par ricochets un personnage secondaire) et, surtout, dans un final d’un grotesque achevé. Il faut tout de même un sacré culot – et pourquoi pas, après tout ? – pour oser sceller le destin de son (anti-)héros d’une façon aussi outrancière et naïve en espérant y faire surgir une forme de poésie. Las, Mes frères plonge (littéralement) dans le ridicule. La sympathique bande originale, bourrée de hits qui raviront les nostalgiques, n’est hélas pas suffisante pour empêcher ce premier essai de sombrer dans l’oubli.