Révélé en 1994 en tant qu’acteur pour Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, Gaël Morel n’en est pas moins rapidement tenté par l’exercice périlleux de la réalisation. Si ses premières créations, souffrant d’un trop-plein référentiel, peinaient parfois à convaincre, son troisième long-métrage, Le Clan, histoire de trois frères aux destins croisés, témoigne d’une étonnante maturité.
Le film se décompose en trois portraits complémentaires de frères fondamentalement différents. Marc (Nicolas Cazalé, remarquable), le benjamin de vingt-deux ans, est en pleine crise d’insoumission. Il rejette violemment l’autorité paternelle et méprise Olivier (Thomas Dumerchez), son petit frère de dix-sept ans qui découvre par ailleurs l’amour dans les bras d’Hicham (Salim Kechiouche), tandis qu’il adule Christophe (Stéphane Rideau), l’aîné, ancien délinquant fraîchement sorti de prison que l’espoir d’une réintégration sociale motive à s’investir professionnellement.
Pour chacun d’entre eux, l’épreuve du Clan fonctionne comme un parcours initiatique, un espace d’affirmation exclusivement masculin, au sein duquel l’intervention de la femme n’est pas attendue, son existence jamais espérée. Avec une rare intensité érotique et une attention que certains pourront qualifier de complaisante, Gaël Morel fixe l’expressivité des regards, les mouvements de ces corps dénudés érigés en armes. Car, entre le heurt et l’étreinte, l’ambiguïté existe constamment, démontrant que la quête d’un plaisir exclusif peut aussi devenir un étrange rapport de force et de domination, une inépuisable source de souffrances. Les exacerbations viriles deviennent les enjeux d’une séduction mortifère, profondément narcissique puisqu’à caractère régressif. Marc, au travers de ses actes, des plus anodins comme le taillage d’une toison pubienne, aux plus conséquents comme le flirt avec le suicide, tend vers la purification, l’espoir de s’aimer soi-même qu’Olivier parviendra à atteindre plus prématurément que ses frères dans les bras d’Hicham. Ce tableau-ci se révèle d’ailleurs le plus troublant, le plus envoûtant, quitte à empiéter sur l’espace de Nicolas, car Gaël Morel, en jouant sur l’évanescence de la lumière et des couleurs, assume un lyrisme exacerbé qui le rapproche de François Truffaut. Surtout, l’objectif de sa caméra préserve habilement une intimité complexifiée par les enjeux amoureux, un espace mystérieux au sein duquel le benjamin se révélera, grâce à cette liberté assumée, le plus insoumis de la fratrie.
Mais le réalisateur de trente-deux ans ne s’inscrit absolument pas dans la mouvance d’un cinéma pro-gay. Comme dans la plupart des films d’André Téchiné, une référence pour le jeune cinéaste, chacun existe pour ce qu’il est, et aucune forme de suspense n’est entretenue autour d’une quelconque homosexualité présupposée. Le désir jaillit sans complexe et devient l’essence même du film, l’habitant dans ses moindres recoins. L’équilibre de l’œuvre tient pour beaucoup à la performance des acteurs. Excellemment dirigés par le metteur en scène, ils n’en restent pas moins libres et profondément inspirés, captés dans cette innocence sauvage qui sied au film en dépassant avec brio le stade conventionnel de la composition. Si l’on peut regretter certains effets de style appuyés, comme l’utilisation récurrente d’une musique rock pour exprimer le mal-être de ces grands adolescents, Le Clan est une réussite singulière, à la fois audacieuse et profondément intimiste.