Dans un village calme qui fait l’angle entre la Suisse, la France et l’Allemagne, Mike et ses copains tuent le temps comme ils peuvent, et ne peuvent pas grand-chose. Un film de loser de plus, assez réussi pour se détacher de cette étiquette en vogue.
Il est devenu l’objet d’un genre qu’on trouve particulièrement développé sur les étendues grises et les friches industrielles des Flandres et du Nord de la France, il semble y poursuivre la politique des paysages en déliquescence : constater avec hébétude son iniquité et son absence de but. On lui trouve des cousins plus au nord, violents en Angleterre, sensibles à la magie dans les pays nordiques, rongés par l’obsession de réussir leur vie aux États-Unis. Tous partagent les caractéristiques communes d’être jeunes (jusqu’à 40 ans), sans ambition, dans un désespérant milieu (ni bêtes ni brillants, ni beaux ni moches, ni méchants ni gentils), tous dans l’absolu creux de la vague des engagements qui ont fait vivre leurs parents. Le loser est devenu un sujet d’étude prépondérant pour le cinéma occidental, particulièrement en Europe.
C’est en conséquence avec une certaine lassitude que le spectateur de films du milieu (dans le sens économique et artistique du terme), se dirige vers les projections d’œuvres annoncées douces amères, absurdes et décalées, un réalisme poétique du XXIe siècle, une dépression acidulée. Qui est le plus blasé, du spectateur ou du cinéma ? Même agrémenté de pas mal de folie comme Robert Mitchum est mort, ce cinéma de l’« a‑conviction » finit malgré tout généralement lisse et vite oublié. La nouveauté déjà ancienne était de réévaluer le loser en héros possible, mais ce cinéma parvient trop rarement à dépasser le mimétisme de son objet.
C’est dans cet état d’esprit morbide que nous nous rendions voir Mike, dont le récit se situe à Kembs, village-frontière entre la Suisse, la France et l’Allemagne. Une voix off laconique nous apprend que les jeunes s’y ennuient, qu’il n’y a rien à y faire, surtout sans argent. Pour un temps, le film colle à son appréhension. Les jeunes glandes, les vieux radotent, les adultes vaquent à des travaux flous avec la tristesse française, la droiture allemande et la placidité suisse. Cliché ? Pas réellement parce que le jeune réalisateur Lars Blumer dépasse la caricature géographique pour transformer l’intégralité des habitants du lieu en purs automates. La différence est maigre mais a une conséquence notable : le ridicule de leurs occupations les rend plus attachants que fous ou idiots. Elle prouve un fait important : Lars Blummer respecte ses personnages (et les personnes dont s’inspire le film) au-delà de leur incongruité. Là où souvent le loser est défini par les winners qui l’entourent, à Kembs personne ne vient rattraper l’autre, la société est nivelée du sol au plafond, d’où l’impression d’un monde parallèle déréglé mais cohérent.
Mike n’a qu’un plaisir : il aime conduire, et plutôt que de passer le permis, préfère voler des véhicules, rouler, puis les remettre à leur place. Il vit totalement dans sa bulle, pas méchant mais incapable de penser aux limites qu’une société peut établir. Pas étonnant, elle est tellement bien limitée d’elle-même que la conséquence de l’interdit demeure une abstraction. Inutile d’en dire plus, le scénario tient à ce point cette logique qu’il vaut mieux le laisser découvrir en salle.
Lars Blummer parvient adroitement à décaler ses personnages et en fait une des surprises du film, qu’il s’agisse du flic paternaliste en crise conjugale (Eric Elmosnino) ou du beau-père plus tolérant qu’on ne le croit d’abord. D’ailleurs les seconds rôles sont presque plus centraux que Mike (Marc-André Grondin, le rebelle de C.R.A.Z.Y.), ils portent son errance vers nulle part, ce qui sera une autre – majeure – surprise du film et qu’on taira. Ce décalage ne se cantonne pas aux personnages, il traverse aussi les genres, glisse de la comédie au drame social avant de redécoller dans un sursaut jusqu’à une fin inattendue qui nappe Mike, ses voitures et son inaptitude totale à être au monde, du beau vernis de mythe. Une agréable surprise même s’il reste une certaine gratuité : la fascination qui pousse Lars Blumers vers son personnage ne s’accompagne ni d’intentions sociales ni de réalisme. Il ne s’agit pas non plus de faire une fable, et l’originalité du film trouve ici sa limite si l’on considère que Mike contient des idées de cinéma mais n’appartient pas au cinéma des idées.