Miracle à Palerme est un joli conte ; un conte sur un enfant, ses rêves et les attitudes d’adulte qu’il prend pour mieux se frotter à l’âpreté de la vie. Réalisé par un cinéaste qui fut l’assistant réalisateur de Roberto Rossellini, et fut élève de son Cours de réalisation expérimentale cinématographique de Rome, il réussit à ne jamais se prendre trop au sérieux. Une tendre variation sur les débrouillards de Palerme, sur ce qui fait le suc de cette ville.
La Sicile a tant inspiré les cinéastes (Stromboli de Rossellini, Le Guépard de Visconti, L’Avventura d’Antonioni…) et a engendré tant d’images d’Épinal sur sa mafia, qu’on se demande ce qu’on peut attendre d’elle cinématographiquement. Ne soyons pas tenté par le bon mot, et n’écrivons pas que le film est un petit miracle. Miracle à Palerme ne vise pas à l’originalité remarquable, ni à la prétention du film qui dépasserait tous ses cousins siciliens. En revanche, ne nous privons pas de l’allusion au livre d’Edmonde Charles-Roux, Oublier Palerme, adapté à l’écran en 1989 ; on n’oubliera pas Palerme après avoir vu le film de Beppe Cino. Un parti pris du réalisateur qui nous rend si réceptifs à l’histoire et nous fait ressentir une tendresse pour ses personnages.
Beppe Cino a choisi une durée bien spécifique pour servir la dramaturgie de son film ; une journée et une nuit en un même lieu, la vieille ville palermitaine, ses églises où se mêlent les styles arabo-normand, byzantin, baroque, son bord de mer avec ses grappes de pêcheurs, traversés en Porsche trafiquée, en vespa, ou encore en drôle de voiture aménagée. Dans cette unité de temps et de lieu, on découvre Toto, jeune garçon animé par le désir de venger son père assassiné. Ce point du scénario engendre une mise en scène d’un monde à l’envers : où la belle (Maria Grazia Concinotta, inoubliable actrice d’ll Postino, qui joue ici la mère de Toto) fait des ménages, où les enfants vivent dans la rue, rapportant les fruits de menus larcins et d’affaires avec un oncle louche, antiquaire qui pisse sur les armoires jonchant la cour de son commerce, où un gamin porte une arme. C’est la cour des miracles, avec son chanteur à la petite semaine, qui ravit les mariés avides de poèmes à leur attention le jour J, ses magouilleurs en tout genre, son bossu qui trimballe une carriole remplie de cassettes et d’autoradios volés. Dans cette ambiance particulière, c’est, en dernière analyse, l’histoire d’un garçon en devenir d’homme, fasciné par la belle Lina (Valentina Graziano), que l’on découvre.
Beppe Cino filme Palerme comme dans un temps suspendu vers le milieu du vingtième siècle ; le travail sur les décors, les couleurs et les costumes des boiteux de la ville, qui font parfois penser à Goya et à ses peintures du peuple, procède de la réussite dans la transmission d’une ambiance. Il faut se laisser prendre par la respiration du film, par l’imprégnation de Palerme sur la pellicule. Beppe Cino regarde sa ville sous tous les angles, la caresse tant, qu’on ne peut manquer de voir chez ce réalisateur l’amour de filmer, son envie de partager.
On veut pardonner à Beppe Cino les quelques maladresses où le pittoresque devient quelque peu factice, où l’ambiance du film semble pré-fabriquée, pour deux raisons. D’une part, celle que l’on vient d’énumérer : si, au cinéma, tout est affaire de sensations autant que de réflexion sur le monde, on ne peut rester insensible à un cadeau, même un peu maladroitement emballé. D’autre part, parce qu’en deuxième analyse, les clichés sont volontairement retenus. Lorsque Toto emmène Lina au bord de la mer et entame avec elle une danse aux côtés d’un groupe de musique folklorique, où lorsqu’elle lui donne un baiser initiatique en pleine rue, les clichés se changent en sourires sur le visage du spectateur, qui les garde pour ce qu’il sont : des photos (« clichés ») comme autant de déclarations à la fois à la douceur et à la violence sicilienne. Car c’est bien de ces deux notions opposées qu’il s’agit : mêlée à la douceur qui transparaît de la relation Toto-Lina, la violence des mafieux ressurgit dans quelques scènes de chantage et de règlements de compte. Les extrêmes se côtoient, comme un écho aux mélanges de Palerme, à son côté patchwork. Plus le film avance, plus on voit l’homme Beppe Cino au-delà du cinéaste, et son désir de filmer, comme il l’écrit à propos de son œuvre, « l’opaque matière du ventre de la ville, la profondeur des sentiments et l’humanité des gens de Palerme ».
Au-delà du plaisir de voir Palerme filmée amoureusement, et populairement, se dégage de ce long métrage la joie simple d’un joli scénario. Miracle à Palerme est une belle fresque à plusieurs voix, s’attachant à donner vie à des personnages typés, mais sans se disperser. Le point de départ de l’histoire, Toto et son apprentissage du monde adulte, qui n’est pas sans rappeler le malicieux Toto de Cinema Paradiso, donne sa cohérence au film. Miracle à Palerme est un joli morceau d’enfance malmenée, qui s’en sort plutôt bien.