Misanthrope s’inscrit dans le sillon direct des Nouveaux Sauvages, le film précédent de Damián Szifrón : celui d’un cinéma qui se rêve irrévérencieux en dépit de son extrême consensualité. Sa désinvolture est cette fois-ci dissimulée derrière le genre très codifié du thriller, qu’il utilise comme un écrin pour mener à bien sa satire du monde contemporain. Le film s’ouvre sur une tuerie de masse à Baltimore et suit l’enquête du FBI sur les traces de l’assassin, aux motivations tellement obscures que Lamarck, l’agent en charge de l’enquête, en vient à recruter Eleanor, une jeune policière sans qualifications mais dont les intuitions sur le profil psychologique du meurtrier attirent l’attention de l’enquêteur. À cette trame principale, Szifrón greffe une étude des maux contemporains (la dépression, l’acception de l’homosexualité…) au sein duquel se distingue une cible en particulier : le bourdonnement incessant produit par les discours médiatiques. Outre l’impression de trop-plein suscitée par la myriade de commentaires se superposant à la progression de l’enquête, le cinéaste cherche à révéler la part pernicieuse de cette logorrhée cathodique. Les débats entre pseudo-spécialistes télévisés semblent ainsi prendre un poids démesuré à mesure que l’enquête s’embourbe. Mais la visée critique se révèle assez grossière, notamment lors d’une séquence où le tueur récidive dans un supermarché filmé sous tous les angles, dans sa manière de vouloir fustiger le capitalisme « à l’américaine ». En témoigne la pénible scène de négociation finale entre le tueur et la policière, dans laquelle Szifrón cherche à susciter l’empathie pour son personnage psychopathe, qui prononce un plaidoyer en faveur d’un retour à un mode de vie simple et déconnecté. La tirade pourrait presque convaincre si la scène n’enchaînait pas sur une fusillade hyper stylisée dans laquelle la caméra virevolte dans tous les sens. Cette mise en scène trop démonstrative révèle la contradiction du film : cette artificialité du « monde contemporain » qu’il semble vouloir dénoncer de bien des manières, c’est précisément celle qu’il reproduit dans son accumulation d’effets dramatiques et esthétiques.