La comédie romantique à la française n’est guère le genre dans lequel le cinéma hexagonal peut dénombrer ses plus belles réussites. Lorsque le réalisateur de Sexy Boys s’attaque au genre, le pire serait à craindre. Mais ce serait oublier que le même homme était co-scénariste du raté mais étrangement sympathique (et érudit) Bloody Mallory. Nanti d’un casting impressionnant, le réalisateur Stéphane Kazandjian montre qu’il est capable de réussir plus qu’honorablement un film de genre, pour notre plus grand plaisir.
Marianne et Vincent n’ont rien en commun, ils en seraient même à se détester ; Elsa cherche l’homme parfait et le jour où elle le découvre, il s’avère qu’il est homosexuel ; Éric vit le parfait amour avec son amie mais ne cesse de penser à son ex, Marie ; Marie, elle, est mariée, mais jette de dangereux regards sur Éric… Et toutes et tous, évidemment, de se croiser dans les rues parisiennes pour tisser une interprétation toujours renouvelée des Jeux de l’amour et du hasard — ou de De l’importance d’être constant, c’est selon.
Typologie similaire (lettres noires et rouges alternées), thématique plus que semblable : serait-on en présence, avec ce Modern Love, d’un Love Actually made in France ? À lire le pitch, on serait tenté de le croire — et de partir avec une idée fausse et regrettable, tant il est vrai que non seulement Modern Love remplit pleinement le cahier des charges de la comédie romantique chorale, mais aussi et surtout qu’il parvient à conserver une identité propre. Anecdotes mignonnes et/ou embarrassantes que nous aimerions tous vivre ou avoir vécu parsèment le récit, comme de juste. Mais contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, l’identité des personnages n’est pas sacrifiée à l’efficacité du récit, non plus qu’à la nécessité de susciter l’adhésion et l’identification de l’auditoire.
Stéphane Kazandjian le dit simplement : « J’ai toujours eu envie de faire une comédie romantique, étant moi-même adepte du genre. » Et cela se voit. À l’instar d’un OSS 117 ou d’un Hellphone, Modern Love est un film de genre, chapeauté par un fan, avec ce qu’il faut d’humilité pour ne pas tenter de changer le genre à lui tout seul — une plaie bien française (voir, pour s’en convaincre, Les Rivières pourpres, Le Pacte des Loups, ou Brocéliande…). Mais c’est aussi l’œuvre d’un scénariste amoureux de son matériau narratif, et qui dans le même temps sait éviter que son scénario et ses exigences n’étouffe sa propre sensibilité. Comme, encore une fois, les deux films précités, Modern Love est un film qui réussit l’alchimie entre fidélité au genre et déclinaison personnelle. Il convient, cependant, de ne pas trop en dire sur cette French touch, qui démarque Modern Love de son cousin américain.
Heureuse surprise qui révèle en Stéphane Kazandjian une capacité réelle à diriger et à mettre en valeur ses acteurs (une capacité dont son premier film, le calamiteux Sexy Boys, permettait légitimement de douter), Modern Love semble confirmer la naissance d’une nouvelle forme de cinéma populaire français. Loin de l’arrogance suffisante et prétendument œcuménique d’un Astérix aux Jeux olympiques, Modern Love sait se glisser dans le genre très américain de la Romantic Comedy sans pour autant renier ses racines et sa sensibilité hexagonales. Comme James Huth et Michel Hazanavicius, Stéphane Kazandjian prouve qu’on peut faire un cinéma populaire, si cher à notre ami Thomas Langmann, sans pour autant verser, comme ce dernier, dans la bêtise, la facilité et la grossièreté. Tant mieux pour nous.