« Tu es la honte de l’Empire romain », dit Jules César à son fils Brutus. Réplique au double sens clairvoyant : Astérix aux Jeux olympiques, c’est la honte du cinéma français. Honte aux producteurs qui ont dépensé 80 millions d’euros pour qu’une telle crotte arrive sur les écrans. Honte au CNC, aux techniciens et aux acteurs qui y ont participé, honte aux spectateurs qui oseront applaudir à la fin de la séance. Honte même au critique qui appellera ça du nom de film et Frédéric Forestier et Thomas Langmann du nom de réalisateurs. Il fut un temps où les artistes qui avaient déplu au prince étaient jetés aux lions. Hélas, le prince de la France d’aujourd’hui trouvera en Astérix un grand motif de plaisir : car les masses qu’il manipule seront définitivement abruties.
Nous sommes en 2008 après Jésus-Christ. Toutes les salles françaises sont occupées par le dernier blockbuster dégoulinant d’argent et de mépris pour le cinéma. Toutes ? Non. Car une poignée d’irréductibles cinéphiles résistent encore et toujours à l’envahisseur. Mais les cinéphiles sont fatigués. On ne leur a pas donné assez de potion magique pour faire disparaître Astérix aux Jeux olympiques d’une bonne grosse baffe et l’envoyer direct dans la benne à ordures de TF1. Alors ils n’ont plus que leurs yeux pour pleurer à chaudes larmes : car même leur rage la plus destructrice n’empêchera pas Frédéric Forestier de hisser sa « réalisation » sur la plus haute marche du podium au box-office français. Une question néanmoins reste en suspens : Claude Berri, producteur émérite de La Graine et le Mulet, qui a redonné vie au cinéma français, a-t-il eu la grandeur d’âme de déshériter son fils, Thomas Langmann, fossoyeur de son état ?
Il était une fois quatre scénaristes. Ils savaient qu’ils allaient être à l’origine du film le plus cher de l’histoire du cinéma français. Normal, le deuxième opus d’Astérix, réalisé par Alain Chabat et produit par Canal +, avait fait 14 millions d’entrées : de quoi se frotter les mains et voir une montagne d’or tomber à ses pieds. La hyène TF1 se précipita sur le projet, avide d’utiliser le temps de cerveau restant aux Français pour se remplir les poches. On imagine bien que les consignes données à nos scénaristes fut de limiter l’humour à des gags de maternelle. Petit florilège : Francix Lalannix (question à mille euros : mais qui se cache derrière ce nom ô combien mystérieux ?), à qui Assurancetourix vient d’annoncer que la potion magique utilisée par Astérix est « question de dosage », réplique : « C’est plutôt question de dopage ! Enfin, il l’a fait à l’insu de son plein gré. » Comment ? Vous ne riez pas ? Autre essai : Élie Semoun, inspecteur grec des Jeux olympiques, a créé un jeu qu’il compte nommer le « pied balle » (si, si). Tout le monde rigole : « C’est nul ce jeu, ça marchera jamais. » Élie Semoun jette donc la balle, qui atterrit dans les pieds de… Zinedine Zidane (grand moment d’Actors Studio). Après quelques passes (mais pas de coup de boule), Zidane lance la balle à Tony Parker (grand moment du cours Florent), qui impressionne tellement Élie qu’il lance : « ça, je l’appellerai le main balle. » Sic de sic ! Dans ses 80 millions d’euros de budget (engloutis dans des décors 100% numériques, où les poteaux du village gaulois brillent comme des euros neufs), Thomas Langmann avait oublié les cours d’anglais. Et personne n’était là pour lui dire que « basket » signifie bien « panier ». On vous laisse imaginer le niveau éducatif du reste.
Même les imbéciles le savent : l’un des grands talents de René Goscinny (paix à son âme et mort à ses héritiers) était le sens de l’anachronisme, ce qu’Alain Chabat avait plus ou moins bien compris. L’anachronisme, chez Thomas Langmann et Frédéric Forestier, qui ne méritent même pas le nom d’imbéciles, c’est de montrer Schumacher au « volant » d’un char Ferrari ou de faire chanter à Benoît Poelvoorde « Besoin de rien, envie de toi ». Ouarf, qu’est-ce qu’on s’éclate ! Grand acteur de composition, Clovis Cornillac, qui ne pouvait légitiment pas être plus mauvais que Christian Clavier en Astérix (est-ce pour cela qu’un grand hebdomadaire culturel français n’a pas hésité à le mettre en couverture cette semaine ?) adopte une démarche « genoux pliés », à la fois étrange et sans doute extrêmement inconfortable, pour se glisser dans la peau de son « petit » personnage. Clin d’œil aux cinéphiles, quand même : Alain Delon (dont on peut annoncer le décès en tant qu’acteur après Nouvelle Vague, de Godard, en 1990) se regarde dans le miroir et clame, à la troisième personne que ni Rocco et ses frères, ni le Guépard ou le clan des Siciliens n’auront raison de lui. Re-sic. Mais ne jetons pas la première pierre aux comédiens : toutes leurs répliques tombent tellement à plat qu’il leur a sûrement fallu beaucoup de courage pour parvenir à les prononcer. D’ailleurs, il suffit d’être un minimum attentif pour s’apercevoir qu’ils ont tellement mal aux lèvres, les pauvres, que la moitié de leurs dialogues sont inaudibles.
Que mérite Astérix aux Jeux olympiques, à part l’espoir mort-vivant de ne pas rentrer dans son budget faramineux ? Qu’aucun rire ne sorte de la bouche des spectateurs ou que certains s’endorment après avoir écrasé leur pop-corn sur le sol de la salle de cinéma (ou s’être étranglés avec). Merveille des merveilles : dans le cinéma dans lequel nous nous sommes rendus, c’est exactement ce qui s’est passé. Petit ouf de soulagement, largement contrebalancé par l’idée que le cinéma français va être pour quelques mois la risée du monde entier.