Qui connaît la vraie forme du clitoris ? Telle est la question inaugurale du documentaire de Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond, deux jeunes réalisatrices issues de l’INSAS de Bruxelles, où elles demandent qu’on leur « dessine un clitoris » comme le petit Prince demande qu’on lui dessine un mouton. La plupart des gens ignorent en effet la vraie forme de l’organe du plaisir féminin, petite boule apparente prolongée en fait à l’intérieur du corps par deux tiges aussi longues qu’un sexe masculin. Ce beau patchwork d’interviews, où une dizaine d’étudiantes racontent face caméra leurs expériences sexuelles, dresse le constat d’un cruel manque de représentation de la sexualité féminine, véritable « continent inconnu ». D’où le dispositif très sobre du film, où la plupart du temps, faute d’image, seule la parole se déploie.
Libérer la parole
Tout l’art du film repose sur une forme de maïeutique, par laquelle les documentaristes parviennent à créer un climat propice à la libération d’une parole intime. Les entretiens, tournés dans les chambres des jeunes femmes, sont filmés en plans très rapprochés et à hauteur de leurs sujets. Certaines sont assises tranquillement sur leur lit, deux copines témoignent ensemble installées sur des coussins, une autre allongée sur son lit, filmée en plongée, parlant à la caméra comme à son petit ami. Par là, le documentaire réussit à rendre visible l’intimité des conversations entre proches pour mieux dévoiler la réalité de la sexualité féminine. Le tournage lui-même prend la forme d’un partage, où Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet apparaissent à l’écran, micro et caméra placés tout près de leurs interlocutrices.
Dans un récit allant de l’enfance à l’âge adulte, les jeunes femmes évoquent leurs premières expériences d’une sexualité vécue dans l’isolement : la découverte du plaisir clitoridien et la masturbation féminine sont d’abord vécues comme des tabous que personne n’ose évoquer de peur d’être jugé. Toutes se sont trouvées démunies, projetées dans une expérience inconnue pour laquelle elles n’avaient parfois même pas les mots puisqu’elles n’en avaient jamais entendu parler. Le dispositif choral souligne alors le paradoxe scandaleux d’une sexualité féminine vécue personnellement comme une anomalie alors qu’elle s’avère aussi répandue que parmi les garçons. À travers ces confessions intimes, le documentaire évoque le hors-champ du contexte familial et scolaire, en partie responsable de cette méconnaissance du plaisir féminin. D’une interview à l’autre, le montage laisse habilement émerger de lui-même un conditionnement préoccupant qui amène la femme à ignorer son propre désir. Les réalisatrices montrent par exemple des pages de manuels de SVT sur la sexualité : pas de clitoris schématisé dans la plupart d’entre eux, mais une masturbation exclusivement attribuée aux hommes. Le documentaire pointe aussi avec humour un manque de pédagogie autour du plaisir féminin en réinventant une émission de C’est pas sorcier où Fred, évoluant dans une grotte, paraît perdu à la recherche du point G, pendant que les deux réalisatrices incrustent une amusante animation en pâte à modeler sur le fonctionnement du clitoris.
Contre-point féminin
La polyphonie du montage met par ailleurs à jour une vraie communauté d’expérience d’où s’élève la voix inédite d’une jeunesse qui, du haut de ses vingt ans, dénonce la persistance préoccupante d’une forme de domination du male gaze, imposant aussi bien ses désirs que ses images. Bien des jeunes filles remarquent l’inégalité flagrante qui règne entre les filles et les garçons à l’école, ces derniers n’éprouvant aucun problème à évoquer crûment leur intimité. Le documentaire formule un autre constat inquiétant, qui résonne fortement avec la troisième vague féministe née suite au scandale de l’affaire Weinstein : un grand nombre d’entre elles avouent avoir eu des relations sexuelles non consenties, faute de mieux connaître leur propre plaisir. Toutes évoquent aussi les clichés qu’elles subissent au quotidien sur leurs comportements sexuels, que les réalisatrices symbolisent ensuite efficacement par des photographies des jeunes filles affublées de tatouages « prude », « salope », « coincée », etc.
Mon nom est clitoris porte ainsi en lui un vrai sentiment de révolte qui s’exprime volontiers par la subversion. Dans un geste provocateur, les réalisatrices détournent des extraits de reportages sur la Coupe du monde de football de 1998, qui est aussi l’année de la découverte de l’anatomie du clitoris : toute l’équipe de France paraît alors fêter la découverte de l’organe féminin, identifié par une voix-off au trophée tenu fébrilement entre les mains des joueurs. On regrette que ces moments de fantaisie où les réalisatrices excellent ne soient pas plus présents, surgissant très ponctuellement parmi les confessions des jeunes femmes. Car ici, la révolte féminine va de pair avec une reconquête de l’imaginaire que le finale traduit magnifiquement : sur le sol et les murs de Bruxelles, l’équipe du film tague une multitude de gracieux clitoris colorés, devenant autant de fleurs et de poissons surréalistes célébrant leur retour dans l’espace visible.