L’oscar 2006 du meilleur film étranger, Mon nom est Tsotsi, tant attendu paraît enfin sur les écrans français. Gavin Hood y narre les aventures d’un caïd amnésique de bidonvilles des environs de Johannesburg, brutalement confronté à une paternité non désirée. Au terme d’un parcours initiatique, Tsotsi accède à la connaissance de lui-même, à la paix et à la rédemption de son âme… Scénario, mise en scène, intentions, message philosophique et social, morale, tout est très intelligible, très bien exécuté. Mais voilà, l’ensemble prévisible et sans surprise manque cruellement de prise de risques, d’audace… On annonçait un chef d’œuvre, on assiste à l’exercice d’un disciple appliqué de bonne foi et de bonne volonté.
Mon nom est Tsotsi, premier film de Gavin Hood (diplômé de la prestigieuse UCLA), est une adaptation, que le jeune réalisateur a signée de Tsotsi, le seul roman jamais écrit par le prolifique auteur de théâtre sud-africain Athol Fugard au début des années 1960 et publié vingt ans plus tard. Le livre déroule le fil du dialogue intérieur du personnage principal, qu’une profonde prise de conscience mène à la découverte de sa mémoire et de son humanité. Rendons à César etc… Gavin Hood réussit fort bien la transposition en scénario. Il transporte de l’Afrique du Sud des Fifties à l’époque actuelle post-apartheid. Les dialogues sont entièrement écrit en tsotsi taal, argot des gangsters, et qui mélange des dialectes africains, l’afrikaans, et l’anglais. Le film traite de la violence désespérée des townships sud-africains, emblématiques des ghettos du monde entier.
Un jeune caïd d’un township des abords de Johannesburg, orphelin, amnésique ayant occulté tout souvenir de son enfance, se fait appelé «Tsotsi». Ils mènent alors une vie marquée par la violence, le crime, le meurtre, l’inhumanité. Tsotsi n’a pas de vie, il n’est qu’une succession d’actes de brutalité et de cruauté. Amputé de son passé, il a oublié jusqu’à son prénom, il fuit éperdument aveuglément l’avenir, il se débat dans un présent pétri de colère, de haine, de rage, à l’égard de l’injustice dont il est victime, symbolisé par l’apartheid social.
Au cours d’une soirée d’ivresse qui tourne mal, Tsotsi fuit le bidonville, déboule dans un quartier de banlieue aisée où il braque une BMW. Quelques kilomètres plus loin, il découvre avec horreur un bébé dans le siège-auto à l’arrière. Tsotsi hésite à abandonner la voiture et le nourrisson avec sur le bas-côté de la route. Mais cette cruauté surhumaine (sous-humaine?), il ne la possède pas.
La mystique judéo-chrétienne imprègne la facture du film avec poésie, elle est posée comme élément fondateur, figure formelle matrice dès le plan d’ouverture: la cité des taudis prise du point de vue divin, sous une voûte céleste zébrée de couleurs crépusculaires, annonçant ainsi une ère, une civilisation sur le déclin, touchant à l’instant suprême déjà écrit dans le grand livre des Cieux. La caméra, instance énonciatrice d’essence divine, entame une vertigineuse plongée sur le vaste théâtre du drame, dans un mouvement dont l’acrobatie rappelle le parcours époustouflant et rocambolesque de la caméra de Welles dans la séquence d’ouverture de La Soif du Mal, pour aller choisir un individu nivelé dans la foule et en faire son personnage principal, Tsotsi: une racaille «à gueule de gamin» qui se pavane en roulant des mécaniques avec sa terrible escadre. Ce Tsotsi-là vit ses derniers heures, la fin de règne annoncée par les cieux zébrés de rouges, c’est la sienne.
C’est par cet enfant que Tsotsi prendra le chemin de la rédemption et crèvera les épaisses ténèbres qui lui interdisent la connaissance de son enfance, de son nom, de son identité. Le jeune homme transporte le bébé dans un sac en papier jusque dans la case qu’il habite, il doit l’y nourrir, le réconforter, pallier aux tendresses maternelles, ce qui donne lieu à de scènes drôles (notamment Tsotsi confectionnant une couche avec du papier journal), qui ne sont pas sans rappeler le Chaplin du Kid. Le filmage d’ailleurs emprunte une facture typique du cinéma des premiers temps: une palette chromatique, sépia, un cadre fixe coïncidant avec l’entièreté des limites de l’espace diégétique, frontal et distancié. Au-delà de l’érudite citation, il a une véritable signification dramaturgique: de même que la représentation, Tsotsi est promis à un retour à des données archaïques, antiques de son histoire, ce passé perdu. Il retrouve son bien le plus inaliénable et pourtant aliéné: son histoire, ses racines, son identité, traumatisme originel qui a provoqué le trou noir. Le bébé sera celui par qui la maïeutique sera rendue possible.
C’est ce qui nous porte à voir dans cet enfant, qui lui est donné pour un temps par la providence, l’objet qui fera de l’aventure de Tsotsi un purgatoire. Au sens propre en premier lieu, en ce sens qu’il ramène Tsotsi, alors qu’il doit se dépatouiller pour assurer sa subsistance, à des sentiments humains: premiers émois amoureux avec Miriam (femme qui allaite le nourrisson), gêne à l’égard du crime qui était la condition de son existence, amende honorable faite à l’égard d’un infirme réduit à la mendicité qu’il avait cruellement supplicié moralement. Cette réappropriation est présentée comme une véritable résurrection. C’est lors d’un pèlerinage sur les lieux de l’enfance avec le nourrisson, un terrain vague où sont abandonnés des cylindres de béton qui servent d’abris aux orphelins indigents, que se produit le retour: un plan large des silhouettes sombres et émaciées des enfants errants à contre-jour qui avancent lentement, rendues tremblantes par le volutes d’air brûlant s’élevant du sol, irréelles, figures spectrales où le passé d’enfant errant de Tsotsi se réapparaît. Les scènes cathartiques suivantes de révélations du trauma proprement dites, sont de peu d’intérêt. Se réappropriant son passé, il est en mesure, désormais, d’envisager l’avenir.
Certes Gavin Hood a de bonnes idées de mise en scène comme le montrent ces quelques exemples. Le seul regret que l’on puisse avoir, c’est qu’elles sont insuffisantes à transcender un scénario de mélodrame on ne peut plus conventionnel. Le cinéaste suit avec l’application d’un élève consciencieux les règles gravées sur les tables de la loi du genre, sans chercher à les mettre en question, à les subvertir, les pervertir. On ne sort pas des sentiers battus, des poncifs dont on nous a rebattu les yeux et les oreilles. On frise, et c’est très regrettable, le film-thèse-en-science-de-l’éducation, le prêchi-prêcha bien pensant des idéologues démagos de la famille. Les TV vont adorer.