X‑Men Origins : Wolverine a déjà beaucoup fait parler de lui, en étant présenté comme le film le plus piraté de l’histoire d’Internet. La diffusion d’une version de travail, avant insertion des effets spéciaux numériques, a fait grand bruit à Hollywood, où elle a entraîné le limogeage d’un journaliste-vedette, l’ouverture d’enquêtes internes et l’intervention du FBI pour déterminer la source de la fuite. Il paraît pourtant douteux que cette affaire nuise réellement au succès d’un film programmé dans pas moins de 700 salles en France et calibré pour rafler le maximum de bénéfices… et on le déplore, tant cette nouvelle adaptation des Marvel Comics se révèle navrante.
L’expérience est intéressante : se rendre en soirée dans le plus grand cinéma de la capitale – l’UGC Ciné-Cité les Halles – pour assister à la projection d’un film de superhéros, le jour même de sa sortie en salles. Il faut bien sûr prévoir d’arriver avec une bonne d’heure d’avance, car pour ces occasions les geeks se déplacent en masse. Mais les discussions animées d’avant séance valent le coup : impatients de comparer le film avec le fantasme qu’ils s’en sont fait, les spectateurs-cœurs de cible se disputent entre eux pour déterminer quel justicier est le plus cool, quel superpouvoir le plus fun et quel volet des X‑Men le plus réussi, ou tentent de convertir à leur culte leurs copines qui les accompagnent avec plus ou moins de bonne volonté.
1h45 après le début de X‑Men Origins : Wolverine, ce qui est court pour un film de superhéros mais paraît très long dans le cas présent, les spectateurs quittent la salle un peu moins emballés qu’ils n’y sont entrés. Ils pinaillent pour savoir quelles libertés les auteurs du film ont prises avec les comics d’origine, et pour déterminer si elles sont justifiées ou non, mais le cœur ne semble pas y être, car au-delà ces querelles d’experts, un sentiment semble partagé : celui d’une relative déception.
Ce Wolverine souffre en effet d’un grave défaut : n’être qu’une adaptation parmi d’autres, sans personnalité, un pur produit de consommation oublié sitôt vu. Il lui manque l’ampleur d’un Dark Knight, la noirceur d’un Watchmen, la mélancolie d’un Hulk ou l’humour d’un Spider-Man : ici ne transparaît jamais rien d’autre qu’un esprit de sérieux d’autant plus déconcertant qu’il est mis au service d’une histoire profondément idiote.
Wolverine ne peut en effet même pas se prévaloir du discours vaguement politique des précédents X‑Men : ce nouveau film délaisse la métaphore laborieuse sur la différence – comment vivre son statut de mutant dans une société intolérante et ingrate – au profit de banales histoires de vengeances imbriquées les unes dans les autres, et uniquement motivées par de brumeuses rancœurs familiales (les frères ennemis Logan et Victor, le méchant Stryker qui souffre d’avoir eu un fils mutant, l’espionne œuvrant pour délivrer sa sœur prisonnière…). Mais il serait vain de chercher une quelconque justification à ce qui tient lieu de scénario, quand tout n’est ici que prétexte à enchaîner des scènes d’action et à lancer des clins d’yeux appuyés aux fans – d’où l’aspect catalogue du film, qui empile les superhéros sans prendre la peine d’en faire des personnages (voir par exemple Gambit, à peine esquissé).
Tout le film repose sur les épaules carrées de la star Hugh Jackman, acteur limité au charisme discutable. Souvent dévêtu, ce qui permettra à ses groupies d’admirer ses pectoraux bodybuildés, il court, saute, grogne et débite des répliques ineptes avec un manque d’enthousiasme et de charme confondant. Dans la mythologie Marvel, Wolverine est pourtant le « bad guy » de service : à la fois monstre et justicier, il n’hésite pas à enfreindre les règles édictées par ses collègues, plus boy-scouts dans leurs manières, et à laisser libre court à ses noirs instincts – d’où sa grande popularité parmi les adeptes des Marvel Comics. Mais ici, les enjeux psychologiques ayant été réduits au minimum pour les besoins de la pyrotechnie, ce superhéros individualiste apparaît bien falot – une sorte de fauve dégriffé.
Pour relever le niveau, il ne faut pas compter sur la réalisation impersonnelle du Sud-Africain Gavin Hood, déjà auteur des appliqués et assez démagos Mon nom est Tsotsi et Détention secrète : interchangeable, sa mise en scène se résume à aligner les morceaux de bravoure, rendus plus ou moins grotesques par des effets numériques assez laids – on en vient à se demander si la version pirate, avec ses câbles apparents et ses fonds bleus, ne présente pas, au fond, plus d’intérêt…
Les plus autistes des fans de comics y trouveront peut-être leur compte, mais ceux pour qui le cinéma ne se résume pas à une suite d’explosions et à des démonstrations de connivence avec un public conquis d’avance en seront pour leur frais – même si quelques scènes sauront réjouir les amateurs de navets. Le nouveau film de la Fox n’a d’autres enjeux que commerciaux, et tous, auteurs, producteurs et acteurs, ne semblent motivés que par l’exploitation d’une licence juteuse. Le film dégagera vraisemblablement de confortables bénéfices, et, jusqu’à ce que le public se lasse (ou grandisse), inspirera d’autres spin-offs. Étant donné le nombre de superhéros sous licence Marvel (environ cinq mille!), nous ne sommes pas au bout de nos peines : un X‑Men Origins : Magneto est d’ores et déjà annoncé pour 2011.