Troisième film de Ning Hao, l’un des éléments les plus prometteurs du nouveau cinéma chinois, Mongolian Ping Pong tranche avec le ton de ses deux précédents films. Rêverie crépusculaire majestueusement mise en image, le film consacre le sens du cadrage de son réalisateur, et rend en douceur un hommage à une humanité qui sait encore rêver.
Bilike, jeune garçon de 7 ans, et sa famille vivent de l’élevage des chevaux dans les steppes de Mongolie, à proximité du désert de Gobie. Un jour, Bilike découvre, voguant sur la rivière, une balle de ping-pong. Alors qu’il ignore tout de cet objet, le jeune garçon s’invite mille histoires pour expliquer l’apparition de la petite balle blanche. Entendant un jour que la balle de ping-pong est pour le peuple chinois « la balle nationale », il décide de ne pas plus longtemps priver la nation de sa balle, et part à travers le désert vers Pékin pour rendre son dû à la Chine.
Évidemment, dit comme ça, le scénario de Mongolian Ping Pong peut évoquer la calamiteuse comédie des années 1980 Les dieux sont tombés sur la tête. Mais là où le peuple bushman devenait le prétexte à un humour souvent raciste et paternaliste, le film de Ning Hao adopte un point de vue tout autre. Les enfants sont le centre du film, avant tout parce qu’il s’agit de rendre hommage à leur capacité à se sortir du quotidien censément morne d’une famille sédentaire dans les steppes de Mongolie. Si les mille et une fables qu’ils s’inventent pour entourer la mystérieuse balle de ping pong prêtent à sourire de la part des occidentaux blasés que nous sommes, le sérieux avec lequel le film considère le point de vue des enfants renvoie avant tout à leurs parents. Eux aussi, confrontés à la vie d’éleveurs dans les steppes, s’accrochent à des bribes de rêves, entre un portrait révéré de Gengis Khan, et le projet insensé de construire un moulin hollandais aux côtés de leur yourte, quand il faudrait des dizaines de voyages à la seule voiture qui rejoint leur logis pour n’en amener que les briques. Chaque objet un tant soit peu exotique suscite un intérêt en même temps sérieux et rêveur de la part de chacun, une sagesse candide ressentie comme un miroir face à nos lassitudes d’habitants du premier monde.
Mongolian Ping Pong est loin, cependant, d’être un manifeste à l’égard d’une vie plus simple. Ce n’est le propos du film que si on le considère d’un point de vue purement occidental car son véritable intérêt est autre. Il s’agit, simplement, de parler de la steppe et de ses habitants, sans poser de jugement positif ou négatif. La très grande force de Mongolian Ping Pong est la subtilité avec laquelle le réalisateur filme son décor. Le plus souvent perdus dans l’immensité ressentie de l’image, les humains ne sont que peu présents à l’écran, et la steppe filmée par Ning Hao renvoie, sous un ciel fantasmagorique, à des visions de temps mythiques. Dans Mongolian Ping Pong, le temps comme l’endroit importent peu. On saura de la famille de Bilike qu’elle vit à une époque où la modernité existe sous la forme de l’auto et de la télévision, mais c’est tout. Le traitement des situations et des personnages évoque celui d’Emir Kusturica dans Chat noir, chat blanc, ou Arizona Dream, dans le respect porté à des personnages un peu fantasques. Mais là où le réalisateur serbe privilégie l’exubérance, Ning Hao dépeint un quotidien plus introverti que vraiment morne, développant une intimité touchante et finalement assez captivante.
Filmé en DV haute définition, à l’insu des autorités qui délivraient le droit de filmer, avec devant la caméra des acteurs qui n’en sont pas, Mongolian Ping Pong est donc à proprement parler un film indépendant. Délivrer des images d’une telle beauté, au service d’un récit plus subtil et signifiant qu’une première impression pourrait le laisser croire, laisse augurer d’un futur riche pour Ning Hao. Un futur qu’il faudra suivre.