Après avoir accompagné les débuts de réalisateur de son ex-comparse de télé Olivier Baroux — pour quelques comédies oubliables — Kad Merad passe à son tour derrière la caméra pour jongler, à travers le récit d’une imposture, entre l’humour du mensonge maladroit et la gravité du drame social et familial. Un petit garçon en manque de père fait des bêtises, sa mère « célibattante » se refuse à lui révéler ce qui est advenu du géniteur et, pour le calmer, préfère embaucher un inconnu, ancien cadre devenu repasseur de vêtements dans son immeuble, pour jouer le rôle du disparu. Le petit, pas longtemps dupe, et l’imposteur malgré lui vont vite se prendre au jeu, au grand dam de maman.
Histoire de frustrations, d’illusions et d’impostures, où les faux-semblants, que chacun monte de plus ou moins bon gré pour les autres ou pour eux-mêmes, sont supposés être source de comique autant que de gravité, Monsieur Papa trahit pourtant en permanence sa crainte des ambiguïtés, des zones d’ombre offertes par son scénario (désirs silencieux, difficulté critique d’adultes à s’assumer, voire rivalités et vexations sociales), cherchant systématiquement à les aplanir, à leur trouver une porte de sortie du type « ce n’est pas si grave, finalement » — à l’image de son happy-end qui arrive comme si les auteurs avaient senti l’urgence d’en placer un, où tout le monde se trouve content de son sort. Si on ajoute la facilité sociologique un brin conservatrice par laquelle le film exprime les bienfaits de ce lien père-fils de substitution (le petit va mal : les résultats scolaires baissent et il vire délinquant ; il va mieux : les notes remontent), on sent que par-dessus l’objectif de raconter une histoire habitée d’enjeux, Monsieur Papa est avant tout préoccupé par la nécessité de rassembler autour de lui, d’être le film sympa qui d’un côté fera sourire, de l’autre jouera le drame, mais surtout ne froissera personne (ce qui a l’inconvénient de lisser les aspérités que pouvaient favoriser les deux voies précédentes). Ce qui, on ne peut guère y échapper, correspond plutôt bien à l’image qu’entretient par ailleurs Kad Merad à son propre sujet.
Le cas Merad
Certes, cela sonne comme un cliché, de déclarer que les débuts d’un acteur à la mise en scène ressembleraient à coup sûr à ses performances devant la caméra. Mais ce n’est pas Monsieur Papa qui démentira cette hypothèse. Quand on voit les efforts de Merad pour ménager la chèvre et le chou, on ne peut s’empêcher de repenser au drôle de parcours qui est le sien. Tandis que la plupart des semblables transfuges des tranches humoristiques de la télé ou de la radio tendent au cinéma à se rattacher à leur image comique, l’ancien membre de « Kad & Olivier » s’est, très tôt dans sa carrière cinématographique, moulé dans une silhouette passe-partout — d’ailleurs, c’est simple : aujourd’hui, n’importe quel film français est susceptible de le voir apparaître. Potes sympa quoique un peu lourds, pères de famille médiocres, truand (guère convaincant, dans L’Immortel de Richard Berry)… : en Français moyen comme en personnage de genre, l’accessibilité de l’acteur Merad séduit l’industrie cinématographique et s’impose un peu partout (jusque parmi les « Enfoirés »), faisant de lui le gage d’un certain consensus.
Il n’est guère étonnant qu’à cette faculté d’entrer à ce point dans un moule adapté à la vision commune, s’efforçant d’être familier à tous, il manque la volonté de le secouer un peu, ce moule, de faire de ses personnages et de ce qu’ils portent quelque chose de plus singulier, de moins consensuel. Ce manque, Merad réalisateur le paie plus encore que Merad acteur. Quelques idées de mise en scène lorgnent vers une poésie bon marché, mais le ton original recherché n’en trahit pas moins, de façon flagrante, les quelques risques qu’il devrait prendre pour au moins convaincre des aspérités, les plus légères comme les plus sombres, de son histoire. Risques qu’il se refuse, préférant s’en tenir à un alignement de situations écrites, mais jamais investies par le regard du metteur en scène, et qui se concluront par la préséance de ce qu’on appelle parfois « les bons sentiments » : un consensus social choisissant résolument d’oublier ce qui le ronge.