Sur le papier, l’histoire de William Marston présentait toutes les caractéristiques du destin extraordinaire et insolite dont raffolent les récits biographiques : sa participation à la mise au point du détecteur de mensonge, son importante contribution aux études cognitives, sa relation polyamoureuse avec sa femme Elizabeth et son ancienne étudiante Olive, et sa création la plus célèbre, le personnage de Wonder Woman. Ne négligeant aucun de ces aspects, le scénario opte pour une construction structuraliste inhérente à ce type de projet : faire converger l’ensemble des éléments diégétiques vers l’acte conclusif culminant (la création de la super-héroïne).
Le sens d’une vie
Reposant majoritairement sur l’entretien entre Josette Frank et William Marston venu défendre sa BD accusée de perversion sexuelle, la narration enchevêtre le dialogue principal et les flashbacks, parfois dans une immédiateté d’exécution (c’est-à-dire un flashback terminant la phrase initiée dans la séquence précédente) qui amplifie le didactisme du film. Cette accélération stylistique est mise au service de l’efficacité, notamment dans l’optique d’une vulgarisation des concepts cognitifs de Marston.
La réalisatrice mélange ainsi les temporalités et confronte les supports : l’image mouvante face à la rigidité des cases de BD, sur lesquelles s’applique une orientation sémiotique, par le biais de commentaires. Les images dessinées révèlent leur secret à la lumière des échanges entre Marston et Frank, en voix-off, procédé qui résume finalement toute la démarche narrative : non pas nécessairement redonner vie à la figurine, mais animer le mouvement et les conditions de sa création, par le déploiement de signifiants évoquant autant ses sources d’inspiration (pêle-mêle, une pièce de théâtre antique jouée à l’université, un bizutage d’étudiante ayant pour pratique le châtiment corporel, ou encore une arrière-boutique cachant un milieu SM) que la tension sexuelle sous-jacente qu’incarne le personnage.
Expression sexuelle et amoureuse
Cherchant à disséquer tout ce qu’incarne Wonder Woman (sa modernité, son combat féministe dans une société patriarcale, sa liberté sexuelle), le film a le mérite de ne pas concentrer ses observations sur le seul William. Lors de l’une des premières séquences du film, lorsque le professeur donne cours à l’université, la caméra d’Angela Robinson découpe l’espace en trois pôles, suggérant d’emblée le futur triangle amoureux — ainsi que l’équilibre diégétique — entre Bill, Elizabeth, et leur muse Olive. L’exécution, assez simple, n’en reste pas moins astucieuse, par son principe de champ-contrechamp contrarié : un lien se créé entre Olive et son professeur, puis est rompu par l’introduction d’un champ tiers, celui d’Elizabeth, dans le coin de la pièce. Les premières séquences entre les trois personnages reposent ainsi entièrement sur un renvoie mutuel de cadre par échange de regard, ballet suggestif bien plus intéressant que l’exhibition charnelle de la seconde partie, un brin ostentatoire (à l’image de leur première scène d’amour, au ralenti excessif évoquant l’esthétique feutrée de certaines productions érotiques).
Ce caractère triangulaire régule donc le récit, puisque le menant à l’image pulsionnelle que Marston (et sa femme, inconsciemment) poursuivait. Lors d’une scène, Olive accepte de revêtir un costume d’amazone, apparaissant en contrejour, et éblouissant littéralement Bill et Elizabeth. La jeune femme devient, à ce moment, une double icône : celle formalisant enfin la quête sexuelle des Marston, et celle matérialisant la future icône populaire. Si certains passages, à l’image de cette séquence, peuvent amuser ou agacer par la dramatisation excessive de leur mise en scène, le projet a au moins le mérite, par leur biais, d’affirmer son romantisme naïf comme vecteur créatif.