Pour son premier long-métrage, Reza Serkanian dessine une fiction secrètement subversive et qui paraît se dérouler sans effort. La singularité de ces Noces éphémères est de dissimuler, sans malice aucune mais avec beaucoup de pudeur, sa réelle identité. Entre le tableau exotique et la contestation frontale, le réalisateur emprunte une troisième voie, moins évidente, plus complexe et qui ne se donne pas à définir pleinement.
Iran. Dans l’enceinte de la maison familiale, les allers et venues forment une danse paisible : les grands discutent mariage, les jeunes garçons se font circoncire et le vieux mollah fait silencieusement sa prière. À la mort de celui-ci, Mariam, Kazem et Aziz partent pour une ville où se trouve l’espoir d’un enterrement dans le mausolée habituellement réservé aux habitants de la région.
Noces éphémères dissimule son vrai sujet, on croit que c’est l’histoire d’une mort mais c’est l’histoire d’un départ. Sous le récit premier en transparaissent d’autres, plus insaisissables, plus invisibles : l’attirance réciproque de Mariam et de son beau-frère Kazem, la question du mariage temporaire, institution très ancienne et méconnue en dehors d’Iran, et le projet de Mariam de quitter son pays. Fort d’une première partie où les personnages vont et viennent dans la cour intérieure de la maison, s’agitent tranquillement autour du défunt patriarche, le film prend ainsi dans sa seconde moitié un tournant inattendu. Mariam, Kazem et Aziz sortent du cadre d’abord présenté par le film, franchissent les murs de cette grande demeure et se retrouvent à errer autour d’un immense et magnifique mausolée. On passe sans heurt d’une mise en scène convergente (les murs cerclant la cour, lieu de vie familial qui n’est pas sans rappeler la première partie du Ballon blanc de Panahi) à une mise en scène divergente (les personnages gravitent autour du mausolée), le récit s’articulant, dans les deux cas, autour d’un lieu – que l’on quitte, où l’on passe – pour ouvrir la perspective à un troisième lieu, que l’on ne verra pas à l’écran.
Tandis que l’histoire refuse d’avancer d’un côté, l’attente d’un emplacement pour enterrer le vieux mollah se faisant prégnante, Mariam perce discrètement une avancée de l’autre. La jeune femme retrouve un couple de français dont on ne sait que ce que le film veut bien nous en dire. Définis sans trop de précision, ces deux personnages ouvrent une brèche dans le récit, représentent l’espoir d’un ailleurs, d’un départ. À l’image de l’hôtel où logent iraniens et français, cette seconde partie est l’espace d’un passage, de la vie à la mort pour le vieux mollah, de son ancienne à sa nouvelle vie pour Mariam. Le film devient transit, non-lieu flottant quelque part entre tradition et désir, entre l’ancien et le nouveau. Le destin de Mariam en rappelle un autre : celui de Kamel dans le Bled Number One de Rabah Ameur-Zaïmèche, également à la lisière entre coutumes ancestrales et modernité. Et le regard dépourvu d’exotisme de Serkanian se pose comme un allié moral à celui d’Ameur-Zaïmèche, tous deux préférant se consacrer à la mise en valeur d’une zone invisible dans laquelle leurs personnages naviguent en aveugles. La sphère dans laquelle baigne Mariam n’est plus seulement la frontière entre tradition et modernité, entre l’Iran et la France, mais l’espace où se construit son identité et qui se situe bien au-delà de ces simples oppositions.
Reza Serkanian réalise un film qu’on apprécie davantage à sa seconde vision parce qu’on n’y décèle que progressivement les trésors cachés. Œuvre qui ne se donne pas entièrement et qu’on ne peut jamais qu’effleurer, Noces éphémères refuse de frapper les esprits pour plutôt nous accompagner après la vision comme un doux rêve.