Si le titre français assez mièvre choisi pour C’mon C’mon pouvait déjà faire redouter une nouvelle occurrence de ce que le cinéma indie états-unien peut offrir de pire, il restait encore possible d’y voir la nécessité de traduire une expression peu vendeuse (« Allez, allez… »), en promettant au spectateur une bonne dose de chaleur humaine. Force est de constater que ce choix confirme hélas la première hypothèse : Nos âmes d’enfants est bel et bien la cascade de bons sentiments annoncée, un feel-good movie appuyé et ce parfois jusqu’à l’indécence, convaincu qu’il suffit de filmer du joli et du mignon pour être « humaniste » (ce mot, dont on connaît l’ambivalence, suinte par tous les pores du film). Le récit se concentre sur Johnny (Joaquin Phoenix), un homme célibataire qui commence à s’occuper de Jesse (Woody Norman), le fils de sa sœur Viv, débordée par l’énergie de l’enfant et les troubles bipolaires de son époux. Cette intrigue intime est articulée à une intrigue professionnelle : journaliste, Johnny interroge des enfants sur leur conception de la vie et de l’avenir. Ces deux lignes narratives accouchent de la même morale : chaque génération a quelque chose à apprendre de l’autre. Le film ressasse cette idée élémentaire dans une lénifiante chronique familiale où tout chemine progressivement vers un assainissement des différentes relations.
La vérité sort de la bouche des enfants
Mike Mills cultive une esthétique de la joliesse et de la délicatesse qui cherche à charmer le spectateur en lui montrant des personnages supposés attendrissants, tout en saupoudrant leurs interactions de quelques transitions purement décoratives (des interviews édifiantes d’enfants par Johnny, et des plans urbains d’une grande banalité). Comme si l’art consistait en la « représentation de belles choses » et non dans la « belle représentation des choses ». Aussi la mise en scène repose-t-elle sur un noir et blanc à la préciosité jamais justifiée, poudre aux yeux qui ne cache pourtant pas l’absence totale de personnalité du film. Mills varie les échelles de plan et les mouvements d’appareil sans donner l’impression de suivre un cap formel clair, tout en remplissant cet écrin creux d’une somme de scènes pensées comme éloquentes : le personnage de Jesse, petit garçon de neuf ans au visage angélique qui se réveille en écoutant le Requiem de Mozart (pour que l’on comprenne bien à quel point il est hors du commun, il écoutera cette œuvre à pas moins de cinq moments, tantôt seul, tantôt en dansant par-dessus avec sa mère…) ; les multiples enfants interrogés par Johnny qui nous confirmeront chacun dans l’idée que décidément, la vérité sort bel et bien de la bouche des enfants ; les confessions un brin embarrassantes de Johnny à son micro de journaliste, pour donner au spectateur un accès à la psychologie du personnage…
Mais Nos âmes d’enfants n’est pas qu’un inoffensif inventaire de la gentillesse et de la bizarrerie humaines : à vouloir embrasser d’un regard bienveillant toute la joliesse de l’existence, il se retrouve à filmer complaisamment des moments de souffrance dont il est incapable de restaurer la gravité, au risque d’instrumentaliser leur potentiel dramatique. Ainsi le son in est-il systématiquement mis en sourdine dans les scènes où figure le personnage du père. Si ce dispositif vise probablement à souligner la solitude du bipolaire, il nimbe surtout cette dernière d’une sorte de fascination embarrassante, donnant l’impression qu’il est préférable d’exacerber l’altérité incompréhensible du personnage que de chercher à l’intégrer dans l’espace du film. En somme, elle n’a le droit qu’à une semi-existence, comme s’il fallait respecter un équilibre entre les séquences de tendresse et quelques visions plus tristes, sans toutefois aller au bout d’un processus qui risquerait de mettre le feel-good movie en péril. Cette ambivalence révèle l’impasse que rencontre un cinéma voulant démontrer que la vie vaut malgré tout la peine d’être vécue, tout en donnant une place superficielle aux choses mêmes qui la rendent parfois insoutenable.