Étrange titre que celui de Nos héros sont morts ce soir, à la teinte mélancolique, en forme de prophétie mortuaire. David Perrault, son réalisateur, plonge dans les limbes et nous en ramène une poignée de héros magnifiques et de vilains grimaçants, une mythologie tout entière, qui faisait vibrer la France des années 1960 : celle du catch. Ces héros ne sont pas morts ce soir, ni même hier, ils sont déjà oubliés. On nous l’annonce dans le titre, l’issue sera tragique : qu’importe – allons, les héros sont sur le ring.
Simon, c’est la belle gueule, le séducteur bien dans sa peau – en apparence. Il gagne sa vie sur le ring, en interprétant l’Ange blanc, un gentil dans la mythologie du catch. Lorsque son ami Victor, fraîchement revenu de la guerre, vient lui demander un coup de main, un boulot, il lui trouve un masque à lui, un masque noir, celui du méchant Équarrisseur de Belleville. Mais Victor ne supporte plus d’être affublé du masque du méchant, il convoite la gloire dont le public fait offrande à l’Ange blanc – tentant même d’aller jusqu’à intervertir les rôles…
David Perrault s’intéresse à un spectacle codifié, à des acteurs jouant à être des acteurs. Le personnage existe-t-il vraiment, dans cette spirale de miroirs renvoyant à d’autres miroirs ? En tout état de cause, l’idée intéresse le réalisateur, pour qui le spectacle millimétré d’un match de catch offre la possibilité d’établir un parallèle avec la mise en scène de cinéma – une cinéma qui est omniprésent, fantôme veillant sur le film sans jamais se faire trop violemment sentir – l’œuvre d’un cinéaste qui voudrait définir son style comme du « French Pulp Cinema ».
Nos héros sont morts ce soir pourrait ainsi volontiers être une histoire imprimée sur le mauvais papier d’un roman de gare de série noire, illustré de façon outrancière et criarde, à grand renforts de slogans tapageurs – de ceux qui auraient aussi bien pu illustrer les affiches des matchs de catch des années 1960 en France. C’est à un auditoire conscient de ses références, des codes narratifs que s’adresse David Perrault : lui comme nous connaissons l’univers qu’il veut évoquer, qu’il a digéré et qu’il reproduit sans la moindre distance ironique, mais avec une passion gourmande.
Pour autant, le réalisateur tient à développer son style propre. À l’origine, Nos héros sont morts ce soir s’inspire d’une photographie, montrant un catcheur masqué attablé comme si de rien n’était devant un bar, au milieu d’autres consommateurs. David Perrault tente donc de donner corps au monde que cette photographie évoque, un Paris aux résonances nostalgiques – mais non passéistes, ne confondons pas tout, d’une ville de « gueules » outrées, qui ne sont pas des caricatures, tout au plus des fantômes. Pour peu qu’on fasse preuve d’un certain volontarisme inquiet, on pourra certainement voir dans le film de David Perrault une apologie d’une France passée, dont la nostalgie fleure bon la pensée réactionnaire. Ce n’est pourtant jamais le propos du réalisateur, qui préfère, avec son chef opérateur Christophe Duchange se servir de ce passé, de cette imagerie codifiée comme point de départ d’une photo de papier glacé, aux contrastes saisissants et très travaillés.
Ces images, David Perrault va s’en jouer comme d’illusions, pour un récit elliptique, où la possibilité n’est jamais écartée qu’on soit prisonnier d’un rêve, celui de Victor, revenu de la guerre plein de fantasmes d’héroïsme que le réel ne pourra jamais le laisser concrétiser. Opposant son esthétique à la pureté outrancière, son montage onirique à son milieu et à son thème d’élection – la faune des salles de catch et des cafés d’après-match – David Perrault fait s’affronter l’imaginaire et le réel, mobilise les possibilités esthétiques du cinéma pour offrir, 1h40 durant, une résurrection à des figures oubliées de la culture hexagonale.
Remarquablement maîtrisé, Nos héros sont morts ce soir fait preuve, dans ses choix esthétiques, d’une probité impressionnante. Au-delà de ce constat purement technique, c’est la capacité de David Perrault à conjurer des icônes cinématographiques qui marque véritablement : ni passéiste ni superficielle, cette galerie de portraits gouailleurs et tragiques illustre une vision du cinéma sincère et résolument passionnée – une vision communicative.