« Nous voulons tous un pays uni » affirme dans un petit rire étouffé un homme en costume-cravate, mi-guilleret, mi-sournois. Au milieu d’une réunion gouvernementale où chaque collaborateur du ministre de l’économie y va de sa proposition pour renflouer les caisses de l’État et détricoter le système de redistribution, cette réplique est symptomatique de l’humour de la troupe des Chiens de Navarre. Le cynisme et la perversité de notre monde contemporain – le rouge – se dissimule dans des personnages en apparence fragiles, doux et affables – le orange. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’image de l’orange sanguine, dont le motif et les couleurs sont très lourdement inscrits dans la plupart des décors. En faisant se croiser la trajectoire de plusieurs personnages victimes du système patriarcal et néolibéral – un couple de personnes âgées endettées, leur fiston transfuge de classe qui se noie dans son désir d’élévation et une jeune fille s’apprêtant à vivre ses premiers rapports sexuels – avec celle de grands prédateurs de notre monde (en crescendo, un chauffard, un ministre de l’économie et un tueur en série), le deuxième film de Jean-Christophe Meurice voudrait esquisser un tableau de la France contemporaine. Celui-ci prend la forme d’une suite de scènes reproduisant un schéma identique : chaque conversation déraille à mesure que les positions toujours plus outrancières des protagonistes s’affirment. Si ce goût de l’intonation étrange et du silence gêné peut parfois faire rire, l’humour absurde de la troupe est ici phagocyté par le volontarisme d’un discours beaucoup trop littéral. La satire s’en remet bien vite à un principe de surenchère, notamment au sein de la seconde partie, où le scénario renverse les rapports de force préalablement établis dans un déchaînement de violence qui se veut cathartique : un suicide heureux, un ministre sodomisé, l’émasculation d’un violeur, un avocat sur lequel on pisse.
Adieu les cons
« Est-ce que les gens vont rire ? » interroge le personnage d’Alexandre Steiger à la fin du film, ramenant un peu suspicieusement le spectateur à sa position : de quel bord êtes-vous si vous ne riez pas ? On peut y voir une marque de l’autosatisfaction d’auteurs un peu trop sûrs du caractère subversif de leur œuvre. Dans ce théâtre de Grand-Guignol, l’appareil satirique apparaît pourtant bien maigre. Si quelques scènes font mouche dans leur manière de croquer les vices contemporains (Christophe Paon, il faut le dire, incarne parfaitement le ministre macronien), elles n’apparaissent que comme une resucée de ce qu’on a déjà pu entendre ici et là, dans une chronique radiophonique ou dans un sketch sur YouTube : exemplairement la parodie de l’émission politique de Karine Lemarchand pénétrant l’intimité de l’homme politique ou l’apparition de Blanche Gardin, qui rejoue, peu ou prou, les mêmes blagues que dans ses spectacles de stand-up. Et quand s’engage la course à l’échalote de la méchanceté pour qu’advienne la boucherie finale, le film se montre décidément désagréable dans sa volonté de vouloir gagner sur tous les tableaux. Comme pour atténuer la radicalité de la proposition, le cinéaste mêle à son élégie de la classe moyenne française (évoquant le travail de Kervern et Delépine) une poésie bon teint très proche de celle qu’on trouve dans l’œuvre récente de Dupontel (qu’on pourrait résumer en « l’amour est plus fort que tout »). Ne ressort de ce spectacle vaguement arty de trublions qu’une idée un peu rance de ce qu’est l’humour contestataire français : forcément potache, vulgaire et fier de l’être.