Comme chaque année, en plus de réunir dans un cadre détendu et très accessible tous les acteurs de la profession (cinéastes, techniciens, comédiens, producteurs), la compétition fiction du festival Côté Court à Pantin offre une photographie large et riche en enseignements de la production de court métrage en France. L’horizon dessiné par le « cru 2014 » de la sélection fiction offre un visage hétéroclite, entre récits naturalistes déviés de leur but premier et propositions audacieuses, comme les deux extrémités d’un fil fragile tracé à la craie, où viennent se nicher des films au tissu composite.
Dérivation du film à caractère social
Honneur au grand vainqueur de cette édition, Bruocsella ! de Ian Menoyot (qui cumule Grand Prix fiction, Prix d’interprétation féminine et Prix de la presse), récit de la « délocalisation » à Bruxelles d’une jeune française prénommée Jeanne. Le film prend en charge – de manière à la fois souterraine et très exposée – tout un discours sur le libéralisme et la perte de contact dans les grandes villes. Un geste qui tend à embrasser ces deux grands sujets, à l’image de ces mouvements panoramiques de la caméra sur les artères bruxelloises, motif récurrent qui fait office de regard documentaire, mais aussi de stase d’un mal-être contemporain dans la grisaille du nord. Le point de départ du récit – un entretien avec une fonctionnaire pour obtenir une aide financière – lance le film vers un horizon social qui sans cesse se dérobe, au gré des retrouvailles de Jeanne avec les figures sensibles d’un passé qui lui saute à la figure, évoquant l’impossibilité de faire table rase pour prendre un nouveau départ. Mais c’est de l’anonymat dans les grandes villes que vient surgir une réponse surprenante, en la personne de Maurice, jeune homme inadapté à la vie en société qui considère le rapport à l’humain comme un possible des échanges marchands, et trouve par là même une sincérité et un pragmatisme qui lui permettent d’accueillir l’autre dans son entièreté intrinsèque. En déjouant la comédie attendue des affects – prise en charge par les figures du passé de Jeanne – l’apparition de Maurice constitue le cœur du film, en une longue séquence dialoguée qui flirte parfois avec le coup de force, mais oppose à la sagesse du déroulé du récit une force magnétique inattendue.

Dans le même registre mais sur le mode de l’étrange, Animal Serenade de Beryl Peillard (Prix du public) amorce une entrée en matière qui ressemble à l’abécédaire du film à caractère social. Nina (Marie Denarnaud), mère de 25 ans alcoolique et délurée, traîne un mal-être latent dont elle fait insidieusement payer le prix à sa fille et son compagnon. L’adoption d’un chien fait remonter en surface la pulsion auto-destructrice qui se cache à l’intérieur de Nina, et bouscule le regard que ses proches portent sur elle. Ce révélateur n’a point pour but d’emmener le personnage vers un chemin rédempteur, mais plutôt de faire surgir les désirs refoulés et contrariés de la jeune femme, ainsi que la part animale qu’elle tente d’exprimer via son penchant pour la bouteille. Même si le tout, résumé tel quel, sent le didactisme à plein nez, il n’en reste pas moins que l’attirance et l’attachement de Nina pour un chien qui lui fait du mal – mais qui par là lui porte un intérêt certain – déplace la parabole convenue de la femme battue sur un terrain primitif qui se détache des jugements moraux. Le chien, impénétrable, érigé comme pure altérité, permet alors à Beryl Peillard de se rapprocher de l’état psychologique de Nina, plutôt que de livrer la morale attendue, à laquelle – il n’est malheureusement jamais inutile de le rappeler – tout le monde ne peut que souscrire.
Moments de transition
Plus profondément enracinés dans un terreau naturaliste, Rêves de Lions d’Ange-Régis Hounkpatin (Prix de la jeunesse) et Extrasystole d’Alice Douard réussissent pourtant à tirer leur épingle du jeu. Rêves de Lions transpose la figure du petit arnaqueur de banlieue (ou d’un Christophe Rocancourt issu de l’immigration) sur les côtes de la Manche, et s’extirpe ainsi de tout discours malvenu sur les origines de ses trois protagonistes. Même si le concept d’ascension sociale est ici bien présent – ils cherchent à investir l’argent « récolté » pour ouvrir un restaurant – il se manifeste plus tangiblement à travers une éthique de la rencontre et de la relation amoureuse, symbole de construction tangible face à la versatilité des investissements financiers. Le décor de bord de mer et ses petits hôtels cossus risqueraient de faire dérailler cet amour naissant vers la romance de carte postale, mais Ange-Régis Hounkpatin, avec patience et longueur de temps, s’en tient coûte que coûte à son postulat de départ : débarquer à Deauville tient à la fois de la fuite et du nouveau départ, de la cohabitation entre un espace-temps révolu dont les personnages maîtrisent bien les codes, et un autre bien présent où tout est à inventer. C’est ainsi qu’existent ensemble les deux versants de ce récit ; l’amour en dehors des larcins, et une amitié qui bifurque vers autre chose, peut-être vers une séparation. Avec comme pivot, l’immensité de la mer, comme une page blanche où tout reste à écrire malgré les traces qu’elle laisse sur le sable.

Extrasystole s’engage sur un terrain connu : le fantasme adolescent, l’attirance teintée de gêne pour un professeur. Alice Douard développe ce matériau en faisant des deux personnages en question des femmes engagées dans des relations hétérosexuelles. Deux aimants aux polarités inversées (introvertie/extravertie, adolescente/femme active, etc…), qui se retrouvent embarquées presque malgré elles dans un moment de possible bascule, qui jamais ne se matérialisera concrètement. Le désir reste sous la surface, et c’est de cette indécision que le film tire toute sa sève, avec ce doute comme moteur de dépassement des conventions qui régissent les relations entre élève et professeur. Au bout de la route, le choix ne s’impose pas de lui-même et reste ouvert à une autre fois, avec quelqu’un d’autre. Alice Douard sait jouer des oppositions sans jamais les souligner, ce qui constitue aussi la limite d’un cinéma qui s’attache à la justesse de ses composants, sans oser dire un mot plus haut que l’autre. Reste que la finesse de son travail – des contrastes et des nuances – réussit tout de même à faire du temps compressé de l’année scolaire un accélérateur de vie qui vient se heurter aux temporalités plus laxes des aspirations professionnelles et personnelles de chacune des protagonistes.
Hors du monde
Sur un mode sensible, Poisson d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux met en scène Adélaïde, jeune veuve avec ses deux enfants, Jean et Sacha, lors de vacances à la montagne. Le crépitement du grain de l’image laisse entendre dès le départ qu’un trouble vient sourdre à la surface du récit, mais il ne se manifeste de prime abord que par des décalages incongrus via le regard des enfants sur le réel. Un couple surpris en train de faire l’amour contre un arbre, ou encore la vision d’un cochon que l’on dépièce entament une articulation entre Eros et Thanatos intimement liée à la disparition du père, figure tutélaire et inséminatrice. Le deuil reste assez largement souterrain, car ce qui se joue ici, c’est la recherche d’une trace de cet homme mort, laissant des enfants en bas âge et sans véritables souvenirs de lui. Cette quête transite d’abord par l’éventualité d’un père de substitution, hypothèse qui s’évapore très vite lorsque la douleur de la perte refait surface. Il ne reste plus alors qu’à s’en remettre à une marque concrète, nichée au fond des bois – une gravure au couteau sur l’écorce d’un arbre – pour réussir à toucher du doigt cet homme qui n’existe plus. Et remettre la destinée de cette famille amputée en ordre de marche, via un signe du ciel mais pas divin, auquel le film prête son nom.

Nectar de Lucile Hadzihalilovic s’extirpe encore un peu plus du monde via l’utilisation d’une métaphore filée, qui sert de prétexte à un récit fantastique se nourrissant d’analogies. Tout part d’une ruche au fond de la forêt, au milieu d’une propriété habitée par une reine et ses jeunes servantes, qui viennent chaque jour effectuer un rituel au pied de son lit pour recueillir son nectar. Un rituel mâtiné de chorégraphie via une approche plastique et sensorielle, empreint du mythe de la fontaine de jouvence, et qui développe une dimension érotique et vénéneuse assez hypnotique. Le film avance ainsi, presque par association d’idées, jusqu’à se retrouver catapulté dans le réel, où de grands ensembles résidentiels font office de ruches modernes. Et même si Nectar ne s’aventure jamais plus loin que son dispositif, il en reste tout de même, après projection, des images fortes.

Pour trouver une véritable figure de reclus, il fallait se tourner vers Juke-Box d’Ilan Klipper, dont le personnage principal, Daniel, est interprété par le chanteur Christophe. Cloîtré dans son appartement, Daniel, musicien déchu, s’enfonce dans un mutisme proche de l’autisme, mis en exergue par les voix étouffées de ses interlocuteurs, qui cèdent la place à sa musique. Le film travaille ainsi une idée assez romantique de la création, retirée du monde et adressée au seul désespoir de son instigateur, comme si la maladie mentale, l’alcoolisme, constituaient les formes extrêmes d’un retrait vers les puissances de l’inspiration. Tout ceci serait parfaitement indigeste si le choix du comédien, de ce qu’il véhicule de sa propre expérience de vie, ne transpirait pas à chaque instant du récit, emportant avec lui dans un élan de sincérité tout ce que le regard clinique et cru de Klipper cherche à mettre à nu : un corps vieillissant et blessé, dont il est encore possible d’extirper, par moments, quelques notes sublimes.

Et la comédie dans tout ça ?
Force est de constater que la comédie, bien qu’elle fut présente sous des formes assez différentes, a eu du mal à trouver sa place (en nombre) au sein de la compétition. Un mal qui a sûrement plus un rapport avec, non pas un désintérêt, mais disons un manque d’attention pour un genre qui, du côté du long métrage, s’avère être très souvent l’apanage de grandes productions aux discours lisses et aux procédés formatés. Le court métrage pourrait pourtant représenter une belle alternative ainsi qu’un champ d’expérimentation, comme l’attestent, par exemple, les films d’Antonin Peretjatko.
C’est ainsi qu’Inupiluk de Sébastien Betbeder se révèle assez ambivalent. Jouant sur un ressort comique assez éculé – le décalage culturel (deux trentenaires Parisiens un peu paumés reçoivent en France deux Inuits dont ils ne connaissent ni la langue, ni les coutumes) – Inupiluk réussit à être drôle sans être moqueur, car vécu comme une sorte de journal de bord de l’escapade des quatre protagonistes. On rit donc avec, et non pas contre – ce qui est déjà pas mal – et pourtant l’on voit poindre la paresse d’un système qui coulisse trop facilement, qui s’enivre sans anicroche de ses propres effets de manche. On aimerait que Betbeder aille plus loin que la gentillette chronique de ce voyage au pays de l’incompréhension, non pas par coquetterie, mais parce que l’on sent qu’il pourrait se donner les moyens de creuser sous la surface. En effet, les deux parisiens utilisent un enregistreur pour capter ce que disent les Inuits, et se faire traduire leurs paroles a posteriori, une fois qu’ils seront repartis. Au lieu de plonger dans les possibilités que pourrait offrir une comédie basée sur la reformulation du vécu, où l’aventure au présent cohabiterait avec un contrepoint en recul – un peu à la manière du Marin masqué de Sophie Letourneur – Betbeder préfère tout remettre à plat, et utiliser le sous-titrage pour emporter l’adhésion immédiate du spectateur. L’enregistreur finira aux oubliettes, comme simple élément venant parasiter l’action et récolter de petits rires complices.

Mais il y a bien pire. How Much Rain to Make a Rainbow de Kaori Kinoshita et Alain Della Negra se vautre dans une beauferie sans nom, avec le récit d’un rassemblement hippie dans la jungle, afin de célébrer la fin du calendrier maya. C’est sûr, on fera toujours rire en montrant deux hippies à poil en train de creuser des toilettes à coups de pelle – humour pouet-pouet. Surtout lorsqu’on choisit de se ranger du côté du regard d’un jeune homme un peu ahuri, venu avec son frère revendre des drogues pour se faire un peu de fric sur le dos de ces hurluberlus. La moquerie est ici tournée des deux côtés, et les cinéastes font feu de tout bois, renvoyant dos à dos ces illuminés de hippies imbéciles (cliché numéro un) et ces opportunistes de dealers (cliché numéro deux). Lorsque cette hystérie se calme un peu, la pseudo tentative pour décrire le cérémonial hippie et la démarche qui se cache derrière ne peut décemment pas prendre, après un tel festival de condescendance. De plus : la mère nourricière qui préside au rituel est forcément l’incarnation même d’une gravure de mode (cliché numéro trois), et le jeune homme à l’apparence de gros poupon et au regard bovin qui sert de héros éconduit finit par aller bouder dans son coin (cliché numéro quatre). Résultat de cette équation à quatre entités bien connues : il ne suffit pas de mettre en scène des stéréotypes pour montrer qu’on est intelligent.

Ennui Ennui de Gabriel Abrantes (que nous avions déjà évoqué par ailleurs) joue à fond la carte du superficiel, tout en se plaçant dans un contexte géopolitique très actuel qu’il tente de pervertir de l’intérieur. On y trouve pêle-mêle une ambassadrice française frigide en Afghanistan, sa fille vierge et délurée, un nomade et sa fille très portée sur la chose, des fondamentalistes en plein jihad, l’esquisse d’un Barack Obama, et un drone doué d’intelligence qui n’a pas totalement résolu son complexe d’Œdipe. Chaque figure fait office de stéréotype vicié, et tous s’entrechoquent comme des électrons libres, dans un but de pure comédie régressive. Même si l’ensemble lorgne parfois vers la private joke, force est de constater avec quel brio Abrantes réussit à produire un rire décomplexé, qui s’affranchit des codes de l’actualité auxquels sont habituellement soumis tous ces éléments. L’aspect foutraque du film s’exprime également par une mise en images qui alterne entre artifice (le drone) et situations obscènes (une scène de masturbation avec une carotte), en un joyeux carnaval qui ne se prend jamais au sérieux. Une piste à suivre, donc.
L’audace ne paie pas toujours
Un autre film composite, qui avait déjà fait parler de lui aux dernières Rencontres Européennes du Moyen Métrage de Brive, avec Il est des nôtres de Jean-Christophe Meurisse. Dixit le synopsis du film, Il est des nôtres met en scène le personnage de Thomas et sa bande, qui vit dans une caravane dans un hangar en pleine métropole, célébrant chaque jour son refus de la société. Arborant donc une posture punk, Meurisse construit un patchwork de séquences aux vertus libératrices, parfois à la limite du happening. On s’y jette de la nourriture en pleine figure, le rapport aux corps s’avère parfaitement décomplexé, on s’engueule à foison, en un pied de nez salvateur craché à la face de la bienséance. Cette entame réjouissante trouve pourtant ses limites, dans la façon dont ce petit théâtre n’accorde guère d’importance au dehors, et se trouve libre de rejouer ses propres codes à l’infini, se gargarisant d’une escalade vers le mauvais goût comme le sublime, expurgeant in fine tout propos politique. Un bras d’honneur qui ne vaut malheureusement que pour le geste, là où il aurait pu faire figure de manifeste marginal. On préférera toutefois en retenir l’insolence rageuse, qui ne demande qu’à venir s’exprimer sur un terrain plus fertile.
Après La Maladie blanche (couronné du Grand Prix fiction en 2012), Christelle Lheureux revenait cette année avec Madeleine et les deux Apaches, un film en trois parties. Si le basculement entre la fête du village et une nuit profonde et sauvage se faisait en un lent glissement dans La Maladie blanche, Madeleine et les deux Apaches trace des lignes et des transitions plus abruptes. La première partie du film, composée d’images vidéo amateur filmées par Madeleine dans les années 1980, constitue une sorte de found footage familial, qui ne dévoile aucun but précis, si ce n’est de saisir quelques instantanés a priori anodins. Puis l’on bascule dans un présent à l’image nette et à la nature « cinématographique », où un couple (Myrtille et Thomas) se réveille, situation qui s’évapore très vite au profit du récit du rêve de la jeune femme. Le rêve devient à la fois lieu d’énonciation du récit (Myrtille et Thomas y figurent, s’interrogeant sur la nature du songe et son déroulé) et porte ouverte vers une nouvelle strate : la salle de cinéma. Tous ces récit tissent entre eux un réseau souterrain de correspondances, de prolongements et d’analogies, qui relieraient les souvenirs de la première partie au songe et, plus généralement, à la matière « cinéma », comme autant de fantasmes de représentations. Un lien de parenté court également entre les personnages et ces différentes strates de récit, mais ces éléments épars peinent à former un tout cohérent et assimilable, de par la nature un peu sèche des raccords et des attaches. Reste que le voyage offre quelques belles fulgurances, et réussit tout de même à déployer un univers et des préoccupations qui, de films en films, même s’ils ne sont pas ici pleinement satisfaisants, donnent envie de suivre les futures orientations du travail de Christelle Lheureux.

À plein régime
TWE d’Itvan Kébadian (Mention spéciale du jury fiction et mention spéciale du jury du public) est marqué par une approche documentaire du milieu des graffeurs, dont il nous fait découvrir les codes (organisation/rivalité entre bandes). La belle réussite de TWE réside dans la façon dont Kébadian circonscrit son film à cet univers, sans dériver vers des considérations sociologiques, mais en collant à cet art qui mêle justesse du geste et immédiateté du trait, mais aussi aptitudes d’infiltration et de repérage des lieux. C’est à la fois un jeu et un mode de vie, hiérarchisé de manière quasi militaire (chaque bande possède des « grades », des « fantassins » aux compétences particulières, qui peuvent naviguer d’un poste à un autre), et qui implique de vivre aussi un peu en dehors du monde, avec un pseudonyme, en cachant son activité. Kébadian recueille également les aspirations des graffeurs sur l’évolution de leurs compositions, la nécessité de leur signature, et organise tous ces éléments en une fiction documentée, qui jamais ne force le trait, si ce n’est une seule fois, à la toute fin du film. Au moment où il choisit de quitter cet univers pour offrir un contrepoint venu du dehors, en la personne de la petite amie d’un des graffeurs, Kébadian met en scène un regard nu, sans objet, qui ne permet pas d’opérer une bascule. Et pénètre ainsi dans une sphère privée qui ne trouve pas ici sa place, et sert de pièce rapportée, comme un signe d’ouverture final superflu. Une légère scorie qui ne vient pas pour autant gâcher toutes les promesses entrevues auparavant.

Habitué du festival, où il avait déjà présenté Et ils gravirent la montagne ainsi que La Tristesse des androïdes, Jean-Sébastien Chauvin revenait cette année avec Les Enfants. La démarche de Chauvin s’avère maintenant, avec quelques films de recul, assez identifiable, et trace un sillon qui part d’un quotidien prosaïque (par exemple, le travail en usine dans Et ils gravirent la montagne) pour s’envoler vers les cieux du fantastique. Ce processus est ici décliné au pied de la lettre, puisque le film débute par deux enfants dessinant dans une petite maison de campagne, et s’achèvera par le décollage d’un vaisseau spatial emportant les enfants vers d’autres mondes, en un générique de fin stellaire d’un grand lyrisme. Toute l’audace de la démarche de Chauvin réside dans l’idée de créer du surnaturel avec peu de moyens, en jouant sur le hors champ (le monstre dans la maison qui incite la mère et ses enfants à prendre la clé des champs), l’étrangeté des décors naturels constellés ici et là d’artifices (la bulle qui sert de vaisseau aux enfants) ainsi qu’un certain symbolisme des peurs enfantines. Il n’en perd pas pour autant de vue l’importance de garder au centre de l’intrigue cette petite cellule familiale dont la fuite constitue un motif angoissant, et par là même un moteur fort de récit. La lente progression vers une nuit magique teintée d’angoisse, au fin fond de la forêt, et le décollage des enfants propulsent le film vers les hauteurs audacieuses d’un fantastique considéré dans toute sa noblesse, libérant les attaches du récit en un final enchanteur, baroque et inquiet.

Dernier film qui ne manquait pas d’audace, Geronimo de Frédéric Bayer Azem (Mention spéciale du jury de la presse) s’affiche comme un collage ludique, et dont le plaisir réside dans l’entrechoquement des formes, des couleurs, des personnages. C’est là tout le programme, d’une belle clarté, d’un récit qui met en scène une bande de trentenaires débarquant dans un village des Pyrénées-Atlantique, et qui va se frotter aux jeunes du coin par l’intermédiaire d’une piste d’auto-tamponneuses. Geronimo forme progressivement un patchwork de scènes qui joue sur des contrastes forts (anonymat du village/couleurs « flashy » des manèges de fête foraine, fixité/mobilité, ralentis/plans caméra à l’épaule, « affrontement » entre bandes…) et trouve dans la figure de la collision des autos une matière à duels. Le film démarre d’ailleurs par une mise en place sous forme de face à face, qui emprunte directement, via des plans frontaux, à la dialectique du western. Mais Geronimo s’avère être souterrainement une œuvre assez érotique, orchestrant via une série de déflagrations (impact des autos, courts inserts, ralentis, explosion de couleurs, séduction par la parole et le regard) une montée progressive du désir, invitant le spectateur à y prendre part, par le biais d’un motif récurrent : le regard caméra. Il y a alors comme de l’électricité dans l’air, lorsqu’au milieu de tout cela apparaît un éphèbe torse nu, figure silencieuse qui vient aspirer, tel un trou noir, les attirances et frustrations des personnages. Ce Geronimo est un aimant brut, une force centripète qui permet au récit de se déployer sans jamais perdre de vue son centre. Et résume bien, en ce sens, tout ce que l’on attend d’un court métrage réussi : fraîcheur, audace et cohérence.
