Récit de science-fiction écologique, Origine se situe dans la lignée des films par lesquels le Japon n’en finit plus d’exorciser le fantôme de la Bombe, via des histoires opposant l’humain et la nature. Si la maîtrise de la forme et l’enthousiasme sont bien présents, Origine finit par vouloir trop en faire, et par perdre son spectateur. Dommage.
Agito est un jeune garçon, fils de l’un des fondateurs de la Cité Neutre. Il entend bien suivre les traces de son père, qui est parvenu à créer une cité où la nature et les humains vivent en harmonie, alors que ces deux mondes sont partout ailleurs en conflit permanent. Il est l’ami de Minka et Cain, le protégé de la dirigeante de la Cité, Yolda. Et il aime à défier les pouvoirs de la forêt, et ses scions les « druides ». C’est lors d’une de ces escapades qu’il réveille de sa stase la mystérieuse Toola cum Sakul, qui se révèle être la fille de celui qui détenait le secret des origines de l’hostilité de la forêt. La jeune fille a tôt fait d’être convoitée par la nation ennemie jurée de la forêt, le martial pays de Ragna. Et rien ne s’arrange lorsqu’elle choisit de suivre le sinistre colonel Shunack, lui aussi sorti de stase, et qui prétend vouloir se servir de son pouvoir à bon escient. Ouf. Voilà pour le début d’intrigue d’Origine. Une intrigue d’une rare complexité, parsemée de personnages qui ne demandent qu’à être développés. Il est difficile de soutenir longtemps ce déluge narratif.
Pourtant, il faut bien le souligner, techniquement, graphiquement, Origine tient du tour de force. Nanti d’un budget ridicule, en regard des canons du genre, il a mobilisé pendant cinq ans plus de 600 personnes. Et le résultat est, indéniablement, à la hauteur des espérances qu’un tel acharnement et qu’une telle passion laissent présager : visuellement, c’est parfait, un véritable régal pour les yeux, magnifié par le grand écran. Le studio d’animation Gonzo, déjà à l’origine des remarquables séries Saikano — L’Arme Ultime, Last Exile ou Le Comte de Monte-Cristo, prouve ici la qualité de ses productions, d’autant que pour Origine, l’intégration des effets numériques assistés par ordinateur est tellement bien réussie que la symbiose avec les dessins plus traditionnels est d’une stupéfiante fluidité.
Cette perfection graphique se met au service d’un récit survolté, presque hystérique tant il est rapide et gorgé de sens. Origine est un conte initiatique et écologique qui reprend des thématiques chères aux séries de science-fiction de l’animation japonaise : le mépris de l’humain pour la nature, les terribles conséquences que cela entraîne, et la bêtise des humains qui menace de faire replonger le monde dans le chaos… Bien vite, même pour les moins initiés, le nom de Hayao Miyazaki transparaît. On peut surtout penser aux grandioses Princesse Mononoké et Nausicaä de la Vallée du Vent. Nausicaä, justement : le scénariste d’Origine, Iida Umanosuke, a travaillé avec le studio Ghibli et Miyazaki sur Nausicaä et Laputa, le Château dans le ciel, et la trace du créateur de Totoro transparaît partout dans Origine. Hélas, n’est pas Miyazaki qui veut.
Si celui-ci réussit avec maestria à marier l’action et le rêve dans des films à thèse, cela tient notamment à une pratique régulière du long métrage, ce que semble n’avoir pas acquis Keiichi Sugiyama, le réalisateur, qui a auparavant officié sur les séries Neon Genesis Evangelion ou Macross. Pour les plus modestes, ces séries se déclinent traditionnellement en treize épisodes de vingt-six minutes : un peu plus de cinq heures et demie pour présenter un scénario et ses personnages. La création d’un film tiré de la série, souvent destiné aux aficionados, est monnaie courante, et ces films ne s’embarrassent guère de présenter complètement leurs personnages ou le monde dans lequel ils évoluent. On ne peut censément attendre la même complexité d’un métrage d’une heure et demie face à une série qui compte entre cinq et douze heures.
Et c’est là que le bât blesse. Le sentiment est toujours présent, avec Origine, d’avoir affaire à un film issu d’une série, tant les rebondissements apparaissent parfois comme prématurés, comme les décisions des personnages qui sont souvent ressenties comme arbitraires. Pourtant, ces personnages auraient pu proposer une alternative au manichéisme souvent présent dans les récits d’animation : les tiraillements moraux de l’héroïne, Toola, les scrupules larvés de l’antagoniste principal, Shunack, comme le désespoir du héros, Agito, lorsqu’il cède à des pulsions destructrices, tout cela est doucement désamorcé par un rythme narratif agressif, désirant manifestement laisser son spectateur otage d’une intrigue visant avant tout à l’efficacité.
Et comme les motivations des personnages, l’émotion s’éteint doucement, alors que les péripéties rocambolesques s’alignent avec efficacité. Un bel objet, donc, que cet Origine, mais seulement un objet. Toute vie semble avoir quitté ce récit, et les sorts des protagonistes ne nous intéressent plus guère. Il reste l’espoir que le film donne naissance à une série ou un manga, où les grandes qualités embryonnaires du film trouveront enfin à s’exprimer dans un média à leur mesure.