Titres et légendes
Le mot « légende » est habituellement très prisé par l’industrie du disque qui en use et abuse pour titrer les innombrables best of et autres compilations bons marchés édités dans un but purement commercial à l’approche des fêtes de fin d’année. Dans un sens moins galvaudé, la légende réinvente et outrepasse le réel, transforme un peu plus le vrai en faux à chacune de ses transmissions orales. L’un des exemples les plus aboutis de documentaire consacré à un musicien de légende est le récent Sugar Man (2012). De manière intelligente, Malik Bendjelloul était parvenu à retracer, ou plutôt à refabriquer, la figure légendaire de Sixto Rodriguez grâce à un sens de la dramaturgie très aiguisé. Le faux venait étroitement compléter le vrai, comme les deux faces d’une même pièce. Dans le documentaire sur Paco de Lucía, le parti pris du réalisateur Curro Sánchez (le fils de Paco) est beaucoup plus conventionnel. Le film prend essentiellement la forme d’un portrait aux accents (auto)biographiques qui, par la force du destin – le guitariste est mort deux jours avant la fin du tournage le 25 février 2014 –, s’est mué en hommage posthume. Le mot légende est alors à prendre pour ce qu’il est, à savoir la représentation embellie et déformée de la vie d’un homme célèbre et célébrée en son temps. Plus modeste et pertinent, le titre original Paco de Lucía : La Búsqueda, que l’on peut traduire par « la recherche » se veut révélateur de la quête artistique de Paco de Lucia, sans cesse en quête de nouvelles formes musicales, au point de brusquer les puristes du flamenco. À ce égard, les séquences les plus intéressantes du documentaire sont celles qui montrent Paco de Lucía au travail, dans son home-studio, en train de bidouiller ses machines et de régler son ordinateur, comme un professeur Géo Trouvetou. Pour le reste, trop propre, trop lisse, le film n’adopte pas le goût pour l’improvisation de son sujet, et s’avère plutôt impersonnel et superficiel, la faute à sa mise en scène platement illustrative et à sa structure narrative trop prévisible. La déception est néanmoins atténuée par l’excellente bande-son qui ravira les amateurs de guitare et de flamenco.
Sans surprise
Paco de Lucía prend en charge le récit du film, au cours d’une série d’entretiens face caméra filmés entre 2010 et 2014. Ce procédé un peu trop statique est compensé par tout un travail de documentation. Des photographies, des archives, des plans d’illustrations et des petites reconstitutions de l’atmosphère d’époque viennent décorer les propos du guitariste, entrecoupés çà et là de témoignages de proches, de musiciens espagnols ou de stars internationales de la fusion (Chick Corea, Santana, John McLaughlin). Sans grande surprise, Curro Sánchez applique le béa-ba du documentaire sur un musicien. L’image ne parvient jamais vraiment à mettre en relief le texte, malgré l’illusion de profondeur donnée aux photographies. En dépit des effets de va-et-vient entre les archives et les témoignages, la narration propose un déroulé platement chronologique, dont la principale visée est d’éclairer la carrière de Paco de Lucía et les évolutions du flamenco. Ce but pédagogique est en soi tout à fait louable. Mais au-delà des faits, des dates, des noms, le désir de creuser le caractère impénétrable du guitariste se retrouve frustré. Le réalisateur n’est pas aidé par Paco de Lucía, homme introverti et solitaire, qui ne souhaite pas partager – on peut aisément le comprendre – ses zones d’ombre : « J’ai eu mes démons mais personne ne l’a remarqué. J’ai appris une chose : on ne peut pas cesser d’être soi ni de ressentir ce que l’on ressent, mais ça doit rester personnel », glisse-t-il vers la fin. Paco de Lucía est un homme qui contrôle son image, balise son parcours biographique et impose le tempo du film. Le réalisateur, malgré le (ou à cause du) fait qu’il soit son fils, semble très en retrait, dans l’incapacité d’improviser, d’aller au-delà de ce qui est simplement dit ou de creuser les ambiguïtés. Cette impression est accentuée par le filmage très impersonnel, avec beaucoup de prises de vue qui semblent provenir tout droit d’une banque d’images. À la toute fin du documentaire, en guise d’épilogue, un bref montage de films issus des archives de la famille compose une image plus personnelle, spontanée et émouvante de Paco de Lucía et, comme une bande-annonce, laisse entrevoir un autre film possible.