Après pas moins de 24 livres d’histoires pour enfants, trois séries télévisées et des millions de peluches vendues, Paddington, l’ours péruvien le plus célèbre du Royaume-Uni créé par Michael Bond en 1958, arrive sur grand écran. C’est un échec. Il n’y a pas plus triste adaptation que celle qui, partant d’un matériau pourvu de singularité, aboutit à un ouvrage n’en présentant strictement aucune.
Pourtant, de singularité, l’ours Paddington n’en manque pas. On pourrait dénombrer son origine exotique (« darkest Peru », un Pérou profond fantasmé), son duffel-coat bleu et son chapeau informe, sa voix douce et ses bonnes manières, sa fringale perpétuelle de marmelade et sa tendance à causer involontairement des catastrophes. Mais ce personnage littéraire se distingue de façon plus subtile. Inspiré d’un jouet (un nounours abandonné dans une boutique, trouvé par Bond en 1956), il est retourné assez vite à cet état, en tout cas à celui d’objet familier tangible : peluches, statue (dressée dans la gare londonienne éponyme) et même créature tridimensionnelle en stop-motion dans la première des séries télévisées (la seule britannique, la seule aussi diffusée en France, sur feu FR3) où le reste était en animation traditionnelle. Plus qu’un personnage, l’ours Paddington est voulu comme un objet compagnon, une icône concrète qu’on pourrait toucher pour la sentir proche, fétiche à l’adresse des enfants auprès desquels il synthétiserait des valeurs morales et une fantaisie estampillées so British.
L’ours, la poupée et les pixels
Or cette dimension de proximité et de tangibilité est la première omission de la présente adaptation, film en prises de vue réelles enjolivé de quelques effets d’animation, et où surtout s’incruste un Paddington numérique imitant le design de la création de Bond sans parvenir à reproduire cette qualité. Il est difficile de ne pas voir dans cet affadissement un symptôme du manque d’inspiration de l’adaptation dans son ensemble, qui se place sous le signe d’un double jeu aussi opportuniste que sommairement appliqué, entre respect et dépoussiérage du matériau original. En guise de « respect », tous les personnages récurrents se retrouvent au milieu d’une Londres contemporaine modérément redécorée en mode rétro (par moments, on se croirait à Poudlard). La modernité, elle, consiste à pousser un peu plus loin qu’à l’origine l’humour des situations burlesques dans lesquelles le héros à fourrure se fourre gaiement — en allant notamment le chercher du côté de la salle de bains, à base d’évier bouché, de lunette de WC et de cire d’oreille — et à filmer ces incidents domestiques avec des tics de grand spectacle familial. Le mythe prend ainsi quelques taches de gras — non qu’on y rechigne, dans la mesure où elles promettent de subvertir la représentation proprette à laquelle elles se collent (on croirait voir dans le bref passage de la cire d’oreille la métaphore d’une sexualité refoulée, si, si…). Ce n’est malheureusement guère le cas ici : le film ne concède ici une vague modernité que pour retomber sur les pattes d’une morale des plus consensuelles qui soient, où on n’oublie pas la dévotion à la cellule familiale (si décontractée qu’elle soit), laissant ces incartades à l’état de pics de balourdise. Il n’y a guère que quelques gags et trouvailles n’impliquant pas l’ours (comme ce petit flash-back très drôle sur la transformation brutale que peut provoquer la paternité) pour empêcher le naufrage complet.
Appuyé qui plus est sur un scénario mollement calqué sur Les 101 Dalmatiens, exhibant une Nicole Kidman en ersatz marmoréen de Cruella De Vil (dont la plastique et la fantaisie du jeu de méchante paraissent aussi synthétiques que les poils numériques de l’ours), le film Paddington ne réussit qu’à convertir un héros iconique singulier en l’équivalent britannique d’une production Disney bas de gamme où la singularité n’est qu’une chimère. On continue de penser que ce n’est pas toujours le prix à payer pour ramener une telle icône aux jeunes âges.