Dans un salon de coiffure londonien, un petit ourson tente, tant bien que mal, de couper les cheveux d’un magistrat ; ses ciseaux se plantent dans le plafond et l’animal, enroulé dans des fils électriques, finit par raser à blanc la tignasse de l’homme de loi. Cette petite scène comique, située au début de Paddington 2, témoigne de l’horizon burlesque du film, dans la droite lignée du précédent épisode, déjà réalisé par Paul King. Toujours installé dans la maison des Brown, en plein cœur de Londres, Paddington multiplie les petits boulots afin de récolter la somme nécessaire à l’achat du cadeau rêvé pour sa Tante Lucy : un livre animé (ou pop-up book) richement ouvragé, représentant les plus célèbres monuments de la capitale britannique. Qu’il se fasse barbier ou laveur de carreaux, l’ourson, gaffeur et inventif à la fois, se transforme en héritier de Chaplin, d’ailleurs explicitement cité lors d’un clin d’œil à la célèbre scène de chaîne de production des Temps modernes. La mise en scène capitalise alors sur l’inadéquation du corps de Paddington avec le monde qui l’entoure, trop grand pour son petit gabarit, mais surtout constitué d’une autre « chair ». C’est qu’avant d’être un animal perdu dans un monde d’humains, Paddington est un corps numérique incrusté à l’intérieur d’un film en prises de vue réelles.
Plus qu’une comédie destinée aux tout-petits, Paddington 2 se révèle être une sorte de conte merveilleux où le monde entier se recompose au contact de l’ourson – en témoigne le plan-séquence du relooking de la prison dans laquelle Paddington vient d’être incarcéré, au son d’un groupe de samba cubaine apparu comme par magie au milieu du pénitencier. L’intérêt du film, notamment par rapport au premier volet, réside dans cet attrait marqué pour l’artifice, inscrivant Paul King dans une généalogie anglaise où, de Michael Powell au Anna Karénine de Joe Wright, la mise en scène adopte une facticité volontairement théâtrale. Ainsi d’une scène au début du film où Paddington s’imagine déambuler à l’intérieur du pop-up book : Paul King cultive un émerveillement devant ce monde doublement factice. Doublement, parce qu’il est entièrement reconstitué avec les outils numériques, mais aussi parce qu’il parvient à reproduire avec minutie l’esthétique du « fait main » (languette de carton et décors peints), capitalisant sur l’attrait enfantin pour le bricolage.
À cet endroit, le film rencontre de manière assez inattendue l’horizon du cinéma de Wes Anderson, auquel il emprunte son parfum d’innocence et sa direction artistique, de l’omniprésence des couleurs pastels à l’usage récurrent des miniatures, tels que la maison d’arrêt ou l’appartement des Brown, filmés en coupe (comme le navire dans La Vie aquatique). Paul King efface ainsi la topographie des lieux qu’il filme au profit de cadrages géométriques et souvent fixes, comme pour subordonner le réel à sa représentation. Cette stratégie formelle est synthétisée par le rôle donné au pop-up book dans l’intrigue : il s’agit en réalité d’une carte au trésor à l’échelle de Londres, où chaque monument cache une lettre composant un code secret permettant de découvrir l’emplacement d’un magot.
All the world’s a stage
Si le film n’est pas exempt de faiblesses, notamment dans les rares scènes centrées sur l’enquête de la famille Brown pour innocenter l’ourson, Paul King s’intéresse davantage à des figures de freaks, des prisonniers au principal antagoniste, Phoenix Buchanan. Partageant le centre de gravité du récit aux côtés de Paddington, il devient, par l’excentricité outrée de ses manières snobs, une sorte de monstre en habits d’homme. Dès leur première apparition commune sur la scène d’un spectacle forain, les deux personnages entrent en concurrence aux yeux du public, les bonnes manières proverbiales de Paddington suscitant une adhésion qui nourrit vite la rancœur de l’acteur shakespearien sur le retour. Multipliant les costumes et variant les apparences pour commettre ses mauvais coups, Buchanan témoigne du caractère discrètement baroque de la mise en scène : dans le monde merveilleux de Paddington, la distinction entre le vrai et le faux, la sincérité et le mensonge s’efface derrière le plaisir du cabotinage, comme lors de cette scène où Buchanan se lance dans une discussion avec les différents protagonistes qu’il a interprétés dans sa carrière. Légèrement inquiétante (cf. le plan en contre-jour où la silhouette de l’acteur se confond avec celle des mannequins qui l’entourent dans son grenier), la séquence témoigne de la fine ligne séparant la comédie de la démence véritable. Cette folie, terreau d’un nonsense auquel le film s’adonne dès que cet antagoniste entre en scène, atteint son acmé lors de la scène d’action finale : à bord de deux trains embarqués à vive allure, Paddington et les Brown tentent chacun de leur côté de capturer Buchanan, qui s’apprête à mettre la main sur le trésor convoité. Piochant alors autant du côté de Mission : Impossible que du Mécano de la Générale, la scène fait preuve d’une certaine virtuosité dans son montage, notamment par la manière dont les trajectoires des deux groupes de personnages dialoguent, de part et d’autre des deux bolides filant à vive allure vers l’inconnu.
À cette frénésie des péripéties répond toutefois l’épilogue apaisé qui clôt le film ; comme un terrassant retour au réel après la fièvre du jeu, Paddington se réveille, après avoir été sauvé in extremis de la noyade, d’un coma long de plusieurs jours. Sa chambre chez les Brown est inchangée, comme si ses mésaventures n’étaient qu’un mauvais rêve. Et le film de se finir sans effusion ni sentimentalisme outré, en revenant au point de départ de l’intrigue : un câlin unissant le petit ourson, ramené en enfance, à sa tante tant aimée.