Les Pyrénées-Orientales, un père légèrement protecteur : n’en jetez plus, c’est déjà suffisant pour condamner une jeune fille en pleine production d’œstrogènes à la frustration sexuelle. Ajoutez à cela une mère partie pour un bellâtre, mais sur le retour, et voilà un premier long-métrage aussi sec que le paysage au milieu duquel la cinéaste pose sa caméra.
A priori, aucune animosité à l’encontre de Lucie (Pauline Étienne), personnage d’ado lambda perdue dans l’exploitation agricole de son père : rien que du très modeste, un seul employé au black, arabe, une remise, un puits et quelques chats. Auxquels la jeune fille parle plus qu’à son paternel, avec lequel l’ambiance n’est évidemment pas au beau fixe, surtout depuis que celui-ci déprime sévèrement. Volontaire, la jeune fille l’est, s’acquittant des tâches agricoles, domestiques et scolaires, à peine de quoi développer sa personnalité, et, malheureusement, la réalisatrice Ève Deboise s’en contente : le seul moment d’intimité de la jeune femme sera une séance de masturbation, à laquelle on ajoutera une évasion musicale à base d’Antonin Dvorak, avec le deuxième mouvement de son Opus 72 des Danses Slaves. Hugo (Olivier Rabourdin), sa fille et l’aide de champ Akim (Ouassini Embarek) sont des taiseux : le problème est que leur corps est tout aussi peu expressif, privant ce conte bucolique de protagonistes à même de susciter l’empathie.
Malgré la performance de Pauline Étienne, très honorable, Lucie fait figure de victime aphasique, à peine sauvée par une légère rébellion contre sa mère, seule liberté que s’octroie Ève Deboise dans un canevas familial amidonné au possible : la séquestration de la mère, coupable d’avoir abandonné mari et fille, est de loin l’aspect le plus surprenant du long-métrage, ce dont la réalisatrice a parfaitement conscience. Malheureusement, les scènes charnières qu’elle lie à cette remise transformée en cachot sont annoncées par la pesanteur des personnages, et vidées de leur intérêt par une mise en scène à l’académisme pesant. La topologie rurale se trouve ainsi assujettie à une imagerie du jardin d’Eden (père et fille se baignent nus dans la rivière) laissée intacte et inexploitée dans Paradis perdu.
Manque d’audace ou manque d’assurance ? Il serait prétentieux de trancher, mais le spectateur ressortira perplexe devant un traitement utilitariste au possible : la nature n’est filmée que lorsqu’elle fait office d’Âge d’or, tandis que l’obstacle que représente l’autorité paternelle est neutralisé… par un peu trop de champagne. De trop grosses ficelles pour emballer un présent voulu comme diaphane et délicat, mais brodé d’une touche de sulfureux, pour faire mieux. Las, le spectateur n’en percevra que deux teintes, évoquant tantôt l’indulgence (le couple qui s’étreint par la fenêtre de la remise), tantôt l’ennui (certains plans évoquent un Flandres standardisé). Paradis perdu distille une sensation d’étouffement, plutôt bien rendue par une image au contraste parfait, mais préjudiciable au reste du long-métrage, carrément empesé.