Après avoir incarné la figure révolutionnaire sud-américaine du Che, Benicio del Toro prête sa plastique à un autre « grand » homme, colombien cette fois : Pablo Escobar. L’ennemi-public numéro 1 des États-Unis dans les années 1980 est au cœur de Paradise Lost, première réalisation d’Andrea Di Stefano. À mi-chemin du biopic, du polar et de la romance, le film tente d’interroger le culte dont Escobar était l’objet dans son fief de Medellín, sans verser dans le manichéisme. Ni bon ni méchant, le parrain incontesté de la cocaïne n’était-il qu’un homme comme les autres ?
Vis ma vie de narcotrafiquant
Au milieu des années 1980, la Colombie et plus précisément la ville de Medellín, sont devenues la plaque tournante du trafic international de cocaïne. Mais ce n’est pas ce qui amène les Américains Nick (Josh Hutcherson), son frère Dylan (Brady Corbet) et sa petite amie Anne (Ana Girardot). Le jeune trio vient s’adonner au surf et mener une vie de hippies, utopie désormais enterrée chez l’oncle Sam, mais encore possible en Colombie. Nick y rencontre par hasard Maria (Claudia Traisac), jolie autochtone dont il tombe immédiatement amoureux. Mais dans ce pays éminemment catholique, l’adoubement familial fait loi et Maria doit rapidement présenter son petit ami à sa famille, plus précisément au patriarche du clan, son oncle Pablo.
On l’aura compris, Paradise Lost ne se présente pas comme un biopic classique, le personnage emblématique d’Escobar étant vu à travers les yeux de Nick, idéaliste naïf et mal informé. Si le terme de Cartel de Medellín évoque immédiatement pour le spectateur contemporain la cocaïne, la clandestinité et la violence, rien n’est moins évident pour un touriste américain à la fin des années 1980. L’intelligence de Di Stefano réside ainsi dès le début à situer son regard bien en amont de la légende Escobar. Pablo (Benicio del Toro) se veut un bienfaiteur des habitants de Medellín (il construit des logements et un hôpital), un substitut de père pour Maria, un papa poule et un mari aimant. Pourtant, le criminel psychopathe n’est jamais loin, tapi dans des détails, comme lors d’une séquence de fête familiale (qui n’est pas s’en rappeler l’introduction du Parrain), où le trafiquant s’improvise photographe, obsessionnel et dictatorial.
La monstruosité invisible
L’air de rien, Paradise Lost distille progressivement les éléments nécessaires à la compréhension de cet homme mondialement célèbre dont l’intimité demeure inconnue. En usant du hors-champ pour les scènes de règlements de comptes, le réalisateur module son portrait et retarde l’apparition du monstre à l’écran. Cette volte-face, où la violence sous-jacente explose finalement constitue sans doute le morceau de bravoure du film. Nick, devenu entretemps un adversaire à éliminer, assiste impuissant à un crime insoutenable. Mais à l’image du reste du long-métrage, rien ne sera montré, tout se déroulant pendant un appel téléphonique avec la disparition progressive des voix des intervenants. Par l’entremise de ce choix de mise en scène audacieux, Di Stefano ne se prive pas d’évoquer les qualités de manipulateur et la brutalité patente de son anti-héros, mais sans jamais sombrer dans la caricature facile d’un Escobar sanguinaire. Cette absence de passage à l’acte manifeste du personnage, et l’adoration qu’il suscite chez les Colombiens (la scène de reddition à la police dans un stade bondé où le trafiquant est accueilli comme une rock-star impressionne) font de Paradise Lost une lecture singulière du mythe Escobar, une odyssée meurtrière où la peur qu’inspire le Colombien prend le dessus sur le spectacle de la violence attendu.