« Bandits, voyous, voleurs, chenapans, c’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant. »
Comme dans le poème – La Chasse à l’enfant – de Prévert, Roman et Sifredi sont des silhouettes qui avancent dans la nuit, perceptibles à la lisière de notre réalité ordinaire, et de ces replis du monde que l’on ne regarde jamais. Ces jumeaux d’à peine la vingtaine, déambulent de squats en squats, séjournent dans des friches de bord de ville, connaissent les séjours en garde à vue et les parcours d’insertion, et pourtant, questionnent leur existence avec une acuité sans pareille. À la suite d’un premier travail auprès de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le documentariste rencontre Sifredi, et décide de faire porter à une constellation de marginaux, « la voix d’un ensemble ». Il y révèle par ce biais, la beauté, la vitalité, la force créative de ces jeunes, prêts à tout pour demeurer dans l’alternative d’une existence rangée.
Sous l’impulsion d’un geste libre et résolu, le réalisateur œuvre en faveur d’une réhabilitation de la figure du « rebelle », foncièrement appauvrie par des poncifs surmédiatisés. À l’heure où les médiums de masse – cinéma et télévision, les premiers – explorent le phénomène de la délinquance à travers le miroir déformant du sensationnel et des clichés sulfureux, le film rêve quant à lui, d’une innocence retrouvée. Vincent Pouplard tire de ces circonstances un documentaire vibrant, proche de la fiction, et faisant fi des exigences du genre (abandon de la forme interviewée, de la captation neutre, de la prépondérance du commentaire off, etc.).
Le refus comme refuge
Pas comme des loups est également un film où le refus se fait voix. Roman et Sifredi ne savent pas ce qu’il adviendra d’eux, mais ils savent d’ores et déjà ce qu’il ne seront pas : des individus fixés par la pesanteur du devoir citoyen, rappelés à l’ordre par les contraintes de la norme et des conventions. Ce sont des êtres en quête de hauteur, jouant aux funambules sur un fil de fer entre deux réalités antagonistes. Soucieux de préserver ce vœu intact, Vincent Pouplard refuse les modalités classiques du schéma enquêteur-sujet, pour se placer comme un troisième frère, un partenaire bienveillant. Une manière de rendre le dialogue plus ouvert, la mise en scène plus leste, et de laisser une zone d’espace suffisante à ces corps, maîtres de l’interaction : la voix-off, par son retrait relatif, encourage un échange ricochant des deux cotés de la caméra, où un sujet en questionne un autre.
Le propos qui se formule est une progression commune dans les tréfonds d’une pensée libertaire qui érige le mot, la parole, l’écoute comme les ingrédients d’une philosophie nécessaire à leur humanité. Au plus près des corps qu’elle caresse langoureusement, la caméra capte un quotidien inspiré par des leçons de vie et de grands récits moraux. La proposition est alors recueillie par la volonté d’immersion du réalisateur avec ce qu’il filme – un documentaire avec et non sur : la longue focale saisit les chairs itinérantes des personnages aux abords de lieux d’une beauté primitive. Ceux que notre société considère alors comme des désaxés, deviennent des personnages allégoriques chargés de poésie, capables d’exprimer pacifiquement leur refus, en retournant vers le spectateur, le miroir du jugement.