Amoureux de la nature, la vraie, et du bocage normand, arrêtez-vous un instant : ce documentaire est pour vous. Au programme, beaux plans sur les lisières dorées par un soleil parfois boudeur, panoramas sur un paysage abîmé par les constructions, et Paul, un bon paysan comme on les aime, drôle, émouvant, causant et pas farouche pour deux sous. Rémi Mauger, journaliste de formation, est visiblement passionné par son sujet, peut-être un peu trop : on reste fixé sur la personnalité de Paul. Le travail du documentariste se réduit ici à celui du portraitiste subjectif : plus qu’à un documentaire, Paul dans sa vie ressemble à un journal de classe de nature.
On peut toujours gloser sur les réalisateurs qui s’occupent de ce qu’il est coutume d’appeler aujourd’hui les « seniors », le sujet n’en demeure pas moins essentiel. Mais voilà, Paul dans sa vie ne fait qu’esquisser un certain nombre de thématiques qui se seraient sans doute avérées des plus intéressantes (non des plus originales certes) au vu du personnage choisi, le fameux Paul. Paysan depuis toujours, il représente une frange historique et sociale qui n’existe que dans les contrées reculées de quelques régions : Paul Debel a plus de soixante-dix ans, il vit avec ses sœurs dans la ferme familiale, il continue son travail d’agriculteur et de fermier et va à l’office plusieurs fois par semaine, pilier d’une religion menacée par la déchristianisation accélérée.
Ce sont donc les derniers représentants de la tradition agricole familiale qui nous sont montrés : Paul a bien un tracteur, une voiture, mais sa vie en communauté est perturbée par l’idée de la mort, et le premier pas de celle-ci s’annonce dans la retraite. La fin du travail équivaut presque à la fin de la vie qui a été presque entièrement constituée des tâches laborieuses. Il y a là matière à développement : comment, lorsque l’on a travaillé durant toute son existence selon un emploi du temps très organisé voire ritualisé, peut-on entrer dans un espace social qui n’est plus conditionné par ce travail ? Le film de Rémi Mauger, reprenant le thème de Farrebique de Georges Rouquier, n’y répond pas vraiment. Il se contente de montrer Paul dans son potager, Paul fabriquant une girouette…
On reste donc sur sa faim lorsque l’on comprend que Rémi Mauger s’attachera davantage à filmer la blague de Paul avec l’accent et le patois, le « petit fait vrai », comme aurait dit Barthes, de la vie au grand air. Paul s’interroge à juste raison dans les premiers temps du film : « Tu dois nous trouver folklorique. Moi, je suis pas folklorique, je suis dans ma vie. » Pas bête, cet homme, mais la caméra le regarde avec la curiosité des étrangers, non avec l’observation du pédagogue (Paul l’est bien plus). Un jeune homme accompagne Rémi Mauger et Paul : on ne sait pas vraiment qui il est, on comprend qu’il ne sait rien du monde de Paul. Mais qu’en est-il du rapport entre les générations, de la méconnaissance par les jeunes des anciennes leçons de choses, de la mutation d’un monde rural par les constructions de centrales, de nouvelles villes ? Rémi Mauger survole ces thèmes sans les approcher réellement : il filme quelques plans, retient une ou deux blagues. Fait intéressant : il n’interroge jamais de personnes extérieures à la famille. On reste cloîtré dans l’univers que le réalisateur a voulu créer, familial et non documentaire.
Le tout est ainsi un peu décevant : ponctué de moments tout à fait réussis, comme l’émouvante scène où Paul vend ses dernières vaches comme s’il se séparait de ses propres enfants, ou les beaux panoramas, qui résument la dualité de cette région, sur un paysage de nature folle ou maîtrisée qui côtoie la centrale de La Hague, Paul dans sa vie reste malheureusement trop en surface des sujets qu’il aborde et trop proche de son personnage pour mener à bien une véritable enquête. Plus élevé que le reportage de base du 20h sur les moulins à eaux de nos belles régions, Paul dans sa vie est sympathique, mais n’aurait peut-être pas mérité une sortie en salles.