Ce n’est pas la première fois que la réalisatrice vénézuélienne Mariana Rondón se met à hauteur d’enfant pour restituer les enjeux sociopolitiques de son pays. Déjà dans Cartes postales de Leningrad (sorti en 2009), elle prenait le parti de faire revivre la guérilla des années 1960 du point de vue surréaliste de deux jeunes protagonistes. Dans Pelo Malo, traduit littéralement par Cheveux rebelles pour son exploitation française, elle s’intéresse au cas de Junior, enfant de Caracas, élevé avec son petit frère par une jeune mère autoritaire qui peine à joindre les deux bouts depuis qu’elle a perdu son travail. Le particularisme du jeune garçon est de vouloir absolument se lisser les cheveux, afin de pouvoir imiter les vedettes kitsch de la variété latino qu’il affectionne tant. Seulement, sa mère ne voit pas d’un très bon œil cette féminisation revendiquée par son aîné, quand le conformisme social ne cesse de célébrer le machisme et la virilité outrancière des garçons. Les difficultés commencent alors pour Junior, un peu démuni lorsqu’il s’agit de plaquer sur la réalité brute de son environnement ses rêves riches en couleurs.
Dichotomie autour du genre
Si la question de l’homosexualité est explicitement abordée par la mère lorsqu’elle s’entretient avec le médecin à propos du comportement déluré de Junior, la démarche de la réalisatrice n’est pas de confronter l’enfance à la question du genre de la même manière que Céline Sciamma avait pu le faire dans Tomboy. Le trouble de l’enfant, tout au plus exacerbé lorsqu’il se prend d’adoration pour le jeune épicier de la cité, est sans cesse réprimé par la crainte et les projections de la mère. À la différence de la jeune fille qui se fait passer pour un garçon aux yeux de tous chez Sciamma, Junior ne parvient pas à faire de son fantasme irrépressible sa nouvelle réalité. Tout au plus réussit-il à s’emparer de quelques symboles qui laissent néanmoins ses désirs à la périphérie de son quotidien : un brushing, un vêtement excentrique, une chanson qu’on écoute en boucle et qu’on chantonne dans le bus, etc. Comme dans Ma vie en rose d’Alain Berliner, le questionnement autour du genre se limite donc au déguisement, au paraître, aux rêves que cela nourrit et reste la plupart du temps provoqué par la suspicion dont le comportement du garçon fait l’objet. Il s’oppose de manière frontale – et un peu raide, c’est toute la limite du film – à l’intolérance d’une mère avare en amour qui finit par reporter son affection vers son deuxième enfant.
Fatalité sociale
L’arrière-plan social semble ici déterminer le propos du long métrage. On le voit à la manière dont la caméra filme la cité, souvent en contreplongée : menaçantes, les barres d’immeubles obstruent toutes les perspectives et jouent le rôle de miroir déformant pour les enfants dans leur appréhension du monde adulte. Au cours d’une scène plutôt réussie, Junior et sa copine un peu boulotte scrutent d’ailleurs le quotidien de leurs nombreux voisins d’en face, comme on déchiffrerait les différentes cases d’une bande dessinée. Malgré la prégnance évidente du déterminisme social, on sent néanmoins que la réalisatrice n’a pas suffisamment creusé son sujet pour le mettre davantage en perspective par rapport au problème de la masculinité comme facteur d’appartenance sociale. Si Pelo Malo se range indubitablement du côté des classes populaires (en insistant notamment sur les difficultés financières et la précarité professionnelle de la mère), on perçoit néanmoins que le discours politique reste indéchiffrable et prudemment tenu à distance. Tout au plus entendra-t-on parler du sacrifice capillaire de quelques Vénézuéliens en soutien au président malade bolivien. Ce manque de transversalité renforce l’impression de cloisonnement entre les deux sujets du film. On en ressort avec l’impression que Pelo Malo reste l’esquisse d’une belle idée qui ne parvient pas à supplanter la tentation un peu trop facile de la résignation.