Il en a fallu du monde pour réaliser ce deuxième opus. Cascadeurs en pagaille, assistants costume, maquillage et coach des acteurs principaux, créateurs d’effets spéciaux, et même scénaristes, au nombre de quatre, dont deux pour l’écriture des « personnages » (comprenne qui pourra). Il en fallut du monde pour fabriquer ce « number two » très attendu, paraît-il, et pourtant sans surprise : Pirates des Caraïbes se devait d’être une trilogie, succès ou pas. Bien sûr, on n’y croit pas une minute : si le premier opus pouvait avoir une saveur un peu originale, celui-là sent sérieusement la grosse arnaque. Un seul objectif : rameuter le public en masse. Succès malheureusement presque assuré.
Sur les Champs-Élysées, le soir de l’avant-première, le public est venu en masse pour admirer de loin les cheveux longs de Johnny et les cheveux un peu plus courts d’Orlando. Au passage, quelques pseudo-vedettes dont on taira le nom par pur irrespect sont venues faire les guignols et la traditionnelle séance photo. Tout cela sent déjà un peu le chiqué, mais c’est le jeu. À la sortie, les petits privilégiés à qui Johnny est venu dire bonjour en personne, et qui au passage sont restés pour voir le film, ont l’air un peu dépités. Serait-ce parce que les cadeaux ne sont pas à la hauteur de leurs attentes (deux jouets en plastique et des chocolats ne remplacent pas le barbecue à Eurodisney du numéro un)? Ou serait-ce parce que le film était particulièrement mauvais ? Ou tout simplement n’ont-ils rien compris…
Il faut dire que le scénario n’est pas particulièrement clair. Pour faire bref, c’est l’histoire d’un pirate qui a trouvé le dessin d’une clé et qui cherche ce qu’ouvre cette clé, et qui pour cela demande l’aide du gentil qui, lui, a besoin de la boussole du pirate, que lui a demandé le vilain pour libérer la gentille qu’il a emprisonnée. On vous fait grâce des intrigues secondaires, parce qu’elles n’ont strictement aucun intérêt. Évidemment, au fond, cette complexité n’est pas si grave. Certains grands chefs d’œuvre sont basés sur des scénarios qu’historiens du cinéma et critiques s’obstinent encore à essayer de comprendre. Dans un film comme Pirates des Caraïbes, c’est le souffle de l’aventure qui compte.
Le problème, c’est que du souffle, il n’y en a pas beaucoup. Gore Verbinski et ses acolytes ont tellement cherché à en mettre plein la vue qu’ils en ont oublié de donner de la consistance à leurs personnages (malgré les scénaristes ci-dessus désignés). Quand on pense à ce que faisait Errol Flynn avec un collant vert et, plus récemment, Tobey Maguire avec un justaucorps rouge, on a presque pitié du chapeau triangulaire de Johnny Depp. Bien sûr, l’acteur adulé de tout Hollywood sera porté aux nues par la critique. Bien sûr, l’enfant chéri est souvent hilarant. Bien sûr, l’ancien rebelle compose une vraie performance. Mais depuis quand un film ne vaut-il que pour son comédien principal ?
Quant aux effets spéciaux, il arrive un moment où on en a sérieusement ras la casquette. Ne rien comprendre à l’histoire, passe encore, mais ne rien voir sur l’écran (ou trop en voir, ce qui revient au même) devient lassant. On est content de savoir que Jerry Bruckheimer (producteur d’Armageddon, Pearl Harbor et Bad Boys) et Gore Verbinski (The Ring et… rien) sont fascinés par les histoires de pirates. Qui ne l’est pas ? Devaient-ils pour autant recycler la pieuvre de Vingt-mille lieues sous les mers en la rebaptisant du nom pas franchement poétique de « Kraken » ? Était-il vraiment nécessaire de plonger à tel point dans le gore (sans jeu de mot abusif sur le cinéaste) qu’on n’oserait conseiller le film ni aux enfants de moins de 14 ans, ni aux femmes enceintes, ni aux émotifs cardiaques, ni aux dîneurs tardifs ? C’est peu de dire que les costumiers et maquilleurs s’en sont donné à cœur joie sur la fameuse escadrille fantôme du Hollandais Volant. Moules et crustacés insérés dans la peau du visage, tentacules en guise de main, marteaux en guise de tête… Les monstres sont d’une laideur beaucoup moins fascinante qu’écœurante.
Il fut un temps où les fictions de Disney avaient un vrai charme suranné (on pense à Vingt-mille lieues sous les mers, déjà cité, ou à Mary Poppins). Aujourd’hui, les héritiers de Walt ont renoncé à faire réaliser un vrai film. Ce que le public demande, semble-t-il, c’est un gigantesque parc d’attractions sur grand écran. Grande roue, bateau volant, loopings, bouées, musée des horreurs, rien ne manque. On se dit, la mort dans l’âme, qu’il vaudrait peut-être mieux s’offrir une balade à Eurodisney. Mais vu le prix du ticket et la longueur des files d’attente, nombreux seront ceux qui préféreront s’ennuyer plutôt devant Pirates des Caraïbes. Pour admirer la plastique de Johnny et de Keira ou pour se dire, espérons-le, qu’on ne les y reprendra plus.