À l’instar de Scream 4, ce Pirates des Caraïbes 4 pourrait se voir comme un remake du premier épisode. On remet les pendules à zéro, exit Orlando Bloom et Keira Knightley (remplacés par un éphèbe prêcheur et une sirène), l’opposition Sparrow-Barbossa laisse place à un affrontement triangulaire avec Barbe Noire, et l’ajout Penélope Cruz vient jouer le faire-valoir féminin de tout blockbuster qui se respecte. Mais évidemment la recette reste la même, avec son lot de batailles navales et de combats à l’épée, de surnaturel kitsch. Le changement de capitaine à bord (Rob Marshall vient suppléer Gore Verbinski) reste imperceptible, pour une licence dont les rouages bien huilés empêchent tout effet de surprise.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant de constater que la série des Pirates des Caraïbes a finalement cédé aux sirènes de la 3D, dont on qualifiera gentiment l’apport de « superflu », si ce n’est en termes d’yeux rougeoyants et de maux de tête à la sortie de la séance. Plus sérieusement, il faudrait véritablement se poser la question de l’utilité (hypothétique ?) de cette technologie pour ce genre de film : la plus-value spectaculaire reste extrêmement négligeable tant le rythme soutenu du montage ne donne absolument pas le temps de flemmarder sur la beauté des mouvements, volumes et perspectives. Le nombre de blockbusters s’engouffrant dans cette brèche tend à augmenter de manière démentielle pour réussir, in fine, à banaliser (voire ringardiser) ce qui devrait être à la base l’un de leurs arguments marketing les plus forts. On ne pourra que s’en réjouir, en attendant peut-être mieux.
En ce qui concerne le reste du film, nous demeurons en terrain familier. Ce n’est pas pour rien que Pirates des Caraïbes est originellement tiré d’une attraction Disney. Le récit est une montagne russe qui galope à tambours battants, tout en prenant toujours un temps délirant à rentrer dans le vif de l’intrigue par la multiplication des péripéties et effets de manche. C’est bien connu, les grosses machines hollywoodiennes ont horreur du vide. En revanche, elles n’ont pas peur des incohérences, ni d’un aspect brouillon qui vient parfois entacher la compréhension des enjeux scénaristiques. Qu’importe, même lorsqu’elle patine dans le sable, la mécanique reprend toujours de plus belle. C’est paradoxalement ce qui procure le plus de satisfaction, car il faut bien accepter dans une série où les personnages sont experts en retournements de veste de s’y perdre un peu. Ce jeu de dupes se réitère de manière presque monomaniaque au détour de chaque séquence, et vient révéler à quel point la performance de Johnny Depp a fini par contaminer l’ensemble du film. Cette exubérance burlesque qu’il arbore dans sa démarche, cet amusement visible à plonger de plain-pied dans le cabotinage est devenu la marque de fabrique de la série, et tous les autres acteurs lui emboitent le pas en mimiques exagérées et dictions farfelues.
Finies donc, les amourettes contrariées du duo Bloom-Knightley. Ou presque, si l’on excepte cet agaçant et falot jeune homme du clergé et cette sirène virginale (idylle qui rappelle étrangement l’horripilant matelot épris de la fille de Johnny Depp dans Sweeney Todd), dont Rob Marshall expédie les séquences de manière bien à propos, de peur qu’elles ne lestent le bateau d’une masse trop conséquente. En revanche, Pirates des Caraïbes sait par intermittence jouer des poids de manière plus ludique, à travers les nombreuses récréations avec l’apesanteur que proposent la plupart des scènes d’action. À ce titre, deux séquences émergent joyeusement des flots caribéens. La première, où Barbossa et Sparrow jouent à la bascule dans une épave accrochée à un flanc de falaise qui risque de tomber dans le vide au moindre de leurs déplacements, et la seconde, l’ébouriffante attaque des sirènes, voltigeant hors de l’eau pour croquer de pauvres matelots. L’écart de ton entre ces deux séquences vient acter ce qui ne fait que trop rarement le sel du film, l’association du burlesque et de l’étrange, au profit d’un récit délesté des trop nombreuses sous-intrigues des épisodes 2 et 3. Et c’est comme cela que Pirates des Caraïbes 4 redevient, par moments, le sympathique divertissement d’été qu’il fut un jour.