Victor (Aliocha Schneider) et son petit frère Jimmy (Auguste Wilhelm) filent à moto sur la route, à l’heure bleue et chaude d’un crépuscule estival ; les cheveux au vent et enveloppés par le paysage désertique qui les entoure, ils roulent au son d’une musique électronique aux accents mélancoliques. Dès son ouverture, Pompéi, réalisé par John Shank et Anna Falguères, installe une ambiance de fin d’été paresseux dont il ne se départira plus. Le lien qui unit les deux frères transparaît d’emblée avec évidence : d’une main, Victor guide la moto, et de l’autre, il stabilise son petit frère, endormi contre son dos. La suite du récit efface toutefois le souvenir de ce geste protecteur de la mémoire du spectateur – à la manière d’une strate archéologique oubliée, appelée à devenir la pierre fondatrice d’une tragédie future. Bien vite, Victor rencontre en effet Billie (Garance Marillier), adolescente tout aussi esseulée que Victor. Le désir qui les cramponne l’un à l’autre suscite chez lui l’envie de rompre avec cet univers isolé, au détriment du lien qui l’unit à son frère.
Variantes sur la désolation
Au gré de plans larges et de travellings fluides, les personnages se croisent, noyés dans des paysages désolés et des lieux abandonnés. Leur désœuvrement s’illustre par de petites combines, comme dans la scène aboutissant à la rencontre entre Victor et Billie, où la bande de garçons, les corps en sueur, s’amuse à arnaquer le père de la jeune fille dans une station essence désertée. Traînant un ennui estival tour-à-tour langoureux ou inquiétant, les enfants partagent pour seul lien un rituel : celui de regarder, en voyeur, l’activité sexuelle des adolescents. Ce regard dérobé, par des trous creusés à leur hauteur par chaque enfant dans le mur – regard cependant connu et accepté par ceux qui se livrent à l’amour – se superpose alors à celui du spectateur, invité à observer également, l’espace d’un été, cette étrange communauté. Pompéi pointe ainsi dès son titre une similitude entre la destinée des habitants de la cité romaine et celle des protagonistes du film : le regard voyeur des touristes devant cet instant suspendu, mort avant d’avoir été vécu, est le même que celui que les spectateurs portent sur cet univers étrange, difficilement identifiable aussi bien sur un plan géographique que temporel.
Au sein de ces étendues, des maisons en ruines sont disséminées, symboles du vide à venir et de l’acharnement des personnages à fouiller le sol à la recherche de traces d’anciennes civilisations, mais aussi à laisser les leurs. La série de plan fixes, lors du générique d’ouverture, souligne cette obsession pour les mots et les dessins gravés dans la chair d’une maison – graffitis semblables à ceux qu’on trouve sur les murs de Pompéi. L’absence de repères géographiques (le titre évoque la Campanie, mais tous parlent français et les noms des protagonistes sont majoritairement anglophones) et de temporalité claire (soulignée par une ambiance taiseuse, où la musique prend en charge une grande partie du récit) permet d’ancrer le récit dans un non-lieu qui prend alors un caractère universel ; dans l’instant suspendu de la transformation, imperceptible, due au changement d’âge et à la petite mort accompagnant la fin d’un temps. La forme onirique et songeuse que prend cette balade permet à un instant éphémère, et condamné à disparaître, de se déployer, afin d’en laisser une trace dans le temps. Si on peut regretter que le film manque d’une dernière strate qui le creuserait plus avant, il dégage cependant le charme de ces fins d’été qui s’éternisent et s’achèvent brusquement. Par le rêve, il serait alors possible d’échapper, de revivre ces instants-là – comme ce groupe d’enfants qui s’évade le temps d’un trajet en voiture : en fermant les yeux, d’autres paysages se créent, d’autres échappées sont possibles. Mais par le rêve uniquement, car dans leur univers clos, nourri de lui-même en un cercle sans fin, le réel les rattrape et leur refuse cruellement le droit à la fuite.