Il est toujours dommage pour un film de pécher par un excès de retenue, là où ses intentions et son caractère atypique promettaient, au contraire, une belle proposition. Le Portrait interdit semble illustrer ce regret : le nouveau long-métrage de Charles de Meaux (le quatrième en temps que réalisateur pour celui qui est plus connu pour être le producteur des films d’Apichatpong Weerasethakul), financé entre la Chine et la France, met en scène deux grands acteurs de chaque pays (Melvil Poupaud et Fan Bingbing) dans l’Empire du milieu au 18e siècle, au cœur d’un amour impossible entre un peintre jésuite et une impératrice mal-aimée. Le tournage rocambolesque – qui a donné lieu à un livre signé de l’acteur français, Voyage à Film City, paru cette année aux éditions Fayard – couplé à un sujet gracieusement désuet et dont la seule « utilité » est de mettre en images de beaux sentiments laissait supposer un film un petit peu difforme, pas tout à fait dans les clous. C’est tout le contraire : Le Portrait interdit se couvre d’une épaisse couche de naphtaline académique qui ankylose toutes les bonnes idées qui auraient pu surgir.
Certes, le corsetage est le sujet du film : de Meaux soigne la reconstitution de la cour impériale et son étiquette drastique. Dans cet univers cadenassé où les gestes et plus généralement les corps sont entravés (on voit souvent l’impératrice marcher difficilement, les pieds bandés, tels que l’imposait la tradition chinoise), un battement de cil est un tremblement de terre. En cela, Fan Bingbing excelle : l’élégance de son jeu tout en frémissements et en affects à peine visibles sert parfaitement l’enjeu et démontre, après sa belle prestation burlesque minimaliste dans I Am Not Madame Bovary (sorti également cette année), une capacité à occuper le cadre de toute sa présence uniquement par petites touches pointillistes. Mais la multitude de détails dans l’architecture et les habits, plutôt belle en soi, et le soin excessif accordé au décor étouffent dans l’œuf toute apparition soudaine du désir, de l’érotisme ou du tabou. La relation que noue le peintre avec la reine et l’amour indicible qui naît entre les deux êtres à mesure que le portrait se concrétise sur la toile est bien trop littérale et cousue de fil blanc. D’un côté, le style « occidental » du tableau constitue déjà une forme de subversion et renvoie, sans beaucoup d’effort, au scandale qui suivrait la révélation d’une liaison interdite. De l’autre, l’histoire d’un artiste, qui plus est prêtre, dévoré par son modèle et le désir de chair, reste un trajet scénaristique on ne peut plus classique voire rebattu. Jamais cette marqueterie visuelle ne permet de laisser entrevoir le début d’une faille, d’un ébranlement sentimental réel qui donneraient consistance et beauté aux faiblesses humaines. Au contraire, Le Portrait interdit s’enferme dans un cinéma de maîtrise, surlignant chaque cadre dans le cadre, soignant le découpage des champ-contrechamps et la composition picturale. Comme s’il voulait masquer sa timidité par une démonstration de savoir-faire formel, Charles de Meaux multiplie les petits effets de manche de mise en scène (plans zénithaux, très longue focale sur les visages, décadrages…) qui teintent son film d’un style rococo peu inspiré. On sourit même à entendre Melvil Poupaud parler un mandarin parfait sans jamais sourciller. Restent les yeux de Fan Bingbing, plus que jamais souveraine, pour se laisser voguer sans plus d’intérêt.