Charles de Meaux est davantage connu comme producteur de Weerasethakul que comme réalisateur. Stretch, son troisième long métrage, est une histoire de jockeys, de paris, l’histoire d’un homme indomptable, imperméable à toute influence, jusqu’à la contrée lointaine qu’il traverse. Partage entre cinéma français et rejet de son immobilité, entre un scénario et ses contournements. Dommage que le réalisateur, bien plus timide que son personnage principal, échoue entre ces deux eaux.
Il fait encore nuit, deux jeunes se préparent, se retrouvent, partent à l’hippodrome. Belles voitures, belles gueules, beaux rêves de courir à Longchamp, d’être de ces jockeys qui se distinguent. Début poussif dans un microcosme en vase clos. Mais ce n’est qu’un prologue. Notre jeune premier, Christophe, porté plus habilement qu’il n’y parait par un Nicolas Cazalé frondeur mais qui joue d’une naïveté assumée, à la frontière de la curiosité, comme pouvoir de séduction, gagne sa première grande course et se fait illico suspendre six mois pour une affaire de dopage dont il est visiblement victime.
Ce monde du turf parisien disparaît aussi sec. Christophe laisse un message téléphonique à son ami resté en France (Nicolas Duvauchelle) : suspendu chez lui il part à l’étranger, et voilà notre jockey qui débarque à Macao.
Première rupture, et dernière puisqu’elle ne révèlera pas autre chose que l’inflexibilité du jeune homme dans sa vocation : courir, et gagner. Les grandes lignes de l’histoire se résument simplement : l’ascension de Christophe le confronte aux magouilles des paris et de la mafia qui les organisent. Dans la navigation entre les requins, le menu fretin, les poissons pilotes et les solitaires, notre effronté s’entête. Cette unique direction n’est pas assez sèche pour atteindre à l’abstraction. Elle ne tend pas non plus au thriller chevalin. Si les scènes de courses fonctionnent, consciencieusement efficaces, comme les moments de tension du scénario, la majeure partie du film demeure assez peu prenante. C’est en un sens dommage mais cette distance permet de regarder le paysage. Car si Christophe n’a qu’une idée en tête, si aucun des personnages ne déroge à ses propres règles ; le monde tourne. Et Macao défile, que le spectateur a tout loisir d’observer, d’autant que presque toujours au second plan, on lui en montre aussi souvent que peu.
Charles de Meaux respecte à la fois les codes, vieux comme les histoires, du héros incorruptibles, et la quête, vieille comme les récits, de l’innovation formelle. Rien de radical certes, mais quelques principes qui travaillent les images et font surnager l’ensemble de l’inanité.
Si à Paris Christophe dialogue à l’écran avec son meilleur ami, ils ne parlerons plus directement une fois la France quittée. Pourtant, pulluleront les messages vocaux, que l’un enregistre ou que l’autre écoute, et les SMS qui s’affichent à l’écran. C’est un peu cheap, assez déroutant, on s’y fait pourtant vite. On se parle pour le business, dans cet anglais pauvre très pratique pour les affaires puisqu’il ne permet que des conditions claires et évite toute intimité. On communique, on ne communie pas, jamais. Cette communication, puisqu’elle ne détournera personne de ses règles de vie, ne sert plus qu’une de ses fonctions initiales : elle est un déversoir, une confession, un carnet intime. Chacun fait le point, en voix ou texte off, puis repart, toujours seul mais apaisé. Y aurait-il addiction à vivre comme des requins blancs ?
Ces particularités formelles, si elles sont très visibles, se justifient par l’exil de Christophe et appuient la solitude de notre héros. Le cow-boy n’est plus l’homme des déserts, des plaines vides, il est la silhouette qui regarde la ville silencieuse derrière les vitres des buildings. Mais il n’a du héros que la droiture, dans ce microcosme mondialisé qui annule presque toute géographie. Il a gardé l’honneur mais oublié les causes, et la droiture sans cause tend vers l’orgueil. Dans sa bulle, le jockey n’a personne à sauver sinon lui-même ou sa vision du monde. Si ce personnage et cette ville sont comme des calques qui s’ignorent, ils questionnent, et ce vivier de cultures qu’est Macao titille le spectateur. D’où un attrait, pas sur un mode touristique, mais comme si le film venait d’abord de cet espace.
Il se trouve cependant une limite que le scénario empêche de franchir, et de Meaux ne garde presque rien de l’imaginaire que Macao exhale. Et l’on ne trouvera ni l’architecture coloniale des Portugais vue chez Johnnie To (Exilé), ni le luxe high tech de 2046, ni la surpopulation bruyante et invisible des bas-fonds dans la puissante littérature d’Antoine Volodine. S’il a intégré à grand peine de vrais clubs de jockeys très privés, ils ne dessinent rien d’autre que leur appartenance au monde du jeu et leur ressemblance avec les lieux similaires d’autres pays. Jusqu’au final, pied de nez scénaristique, les envies du réalisateur resteront confuses, et Stretch laisse un panel de goûts vagues, comme s’il avait voulu beaucoup il y a longtemps, avant d’être bridé et de ne devenir qu’une obstination sans but.