Après No Man’s Land et Sarajevo, mon amour, la Bosnie continue de panser ses plaies par le biais du cinéma. Récompensé à Cannes par l’exigeante Semaine de la critique, Premières neiges est un premier film étonnant. Ode émouvante au courage des femmes, il fait la part belle à ses actrices. Bénéficiant d’une mise en scène sobre et rigoureuse, Premières neiges révèle une cinéaste à suivre.
La première scène surprend: dans une même pièce, plusieurs femmes assises côte à côte discutent et jouent, mimant chacune à leur tour un homme qui les a quittées. Ça pourrait être une réunion de famille, c’est en fait un rassemblement des habitantes du petit village bosniaque de Slavno où tous les hommes ont été méthodiquement abattus. Si la guerre est maintenant finie, les disparus continuent de hanter les vivants. Le spectateur se sent d’abord perdu devant ce flot de paroles échangées entre des femmes dont on peine à percevoir les liens. Mais cette scène initiale résume parfaitement l’esprit de Premières neiges, passant avec aisance de la douleur à l’espoir.
Aida Begić brosse avec délicatesse le portrait de cette petite communauté féminine.
Son film est une belle ode aux femmes, qui font ce qu’elles peuvent pour assurer la survie du village, via la vente de confitures ou le troc. L’isolement total des villageois exacerbe les sentiments: s’il favorise la solidarité entre les femmes, il peut aussi générer des tensions sous-jacentes. Les femmes font preuve d’initiative et de dévouement, notamment en s’occupant des enfants orphelins. Mais cet entre soi attise les rivalités, comme la cohabitation délicate entre Alma, jeune veuve volontaire, et sa belle-mère qui semble lui refuser le droit à un nouveau départ.
Cette fusion féminine n’aurait pas été possible sans les actrices. La méthode de la réalisatrice a permis de tirer le meilleur de ces non professionnelles: comme le Britannique Mike Leigh, Aida Begić n’a dévoilé le contenu de leurs scènes à ses actrices qu’à la veille du tournage. Ce choix permet de préserver leur spontanéité et de garantir une étonnante homogénéité d’interprétation.
Comme le souligne la réalisatrice dans le dossier de presse, la durée de tournage, limitée à cinq semaines, a imposé une rigueur dans son organisation qui se retrouve dans les choix de mise en scène. Le montage est extrêmement précis, chaque scène s’enchaînant avec évidence. Aida Begić a tenu à filmer caméra à l’épaule, en plans rapprochés, pour être au plus près de ses actrices. Cela permet une immersion intense dans le quotidien de ces femmes. Cette créativité stimulée par une économie minimale est visible dans le soin apporté au choix des couleurs des étoffes, foulards ou tapis, aux dominantes bleu, rouge et jaune.
Premières neiges affiche un rythme lancinant, oscillant entre réalité et symbolisme.
Aida Begić ancre fortement son film dans le réel. Le personnage central, Alma, est tiraillé entre tradition et modernité, passé et futur. Elle répond aux appels à la prière, mais s’habille de façon moderne. Elle peine à surmonter la perte de son mari, mais va de l’avant en espérant faire fortune avec ses confitures. Chaque jour, la guerre rappelle aux survivants sa présence: les enfants, en fuguant dans les bois, risquent à chaque pas de tomber sur un champ de mines. Et l’arrivée de deux mystérieux Serbes tentant de convaincre la population de leur vendre leurs maisons ne se contente pas de remuer des plaies douloureuses, mais pose un dilemme aux femmes du village: quitter le lieu où elles ont toujours vécu avec l’espoir de connaître une vie meilleure ou rester dans cet endroit figé dans le passé par fidélité à la mémoire des hommes disparus.
Premières neiges est aussi parsemé de symboles. Il se déroule sur sept jours, démarrant un vendredi. Cette structure chapitrée correspond symboliquement à la durée du travail de deuil. Les cheveux repoussant sans cesse d’un petit garçon replié sur lui sont une manière subtilement décalée de représenter son incapacité à vaincre ses démons. L’usage de la couleur bleue pour la grotte, à la fin du film, symbolise la possibilité d’un apaisement.