Dix (trop longues) années se sont écoulées depuis le second long métrage d’Emmanuelle Cuau, Très bien merci, polar kafkaïen dans lequel Gilbert Melki se heurtait à l’absurdité de l’administration française après un contrôle d’identité. Le film captait alors avec acuité l’air de la France sous Sarkozy et révélait une réalisatrice dont le souci de réalisme n’éludait pas pour autant la maîtrise du récit. Dix ans pour réussir à monter un film, c’est long, et c’est peu dire que la présence devant la caméra de Virginie Efira, auréolée de la reconnaissance méritée que lui a apporté le beau Victoria de Justine Triet, contribue à faire de Pris de court un projet attendu.
Du portrait au polar
Les premières minutes du film nous mènent sur une piste que la suite révélera trompeuse : à vouloir être autant polar que portrait d’une femme en crise, Pris de court peine à tenir les promesses de son intéressant postulat de départ. Nathalie, joaillière de profession, s’installe à Paris avec ses deux garçons, pour débuter une nouvelle vie et un nouveau boulot. Mais l’expérience s’achève avant même d’avoir commencé : le matin même de sa prise de fonctions, son employeur l’appelle pour lui annoncer qu’elle n’est finalement pas prise. Nathalie décide de cacher la vérité à ses enfants et de se mettre en quête d’un nouveau job. Pour Emmanuelle Cuau, pas question de refaire L’Emploi du temps de Laurent Cantet ni même de s’inspirer de l’affaire Romand, que Nicole Garcia avait portée à l’écran en adaptant le livre d’Emmanuel Carrère, L’Adversaire. Ici, le mensonge de Nathalie est rapidement éventé, mais dure assez longtemps pour que son fils aîné, adolescent tourmenté et plein de ressentiments envers sa mère, sombre dans de menus trafics organisés par un caïd du quartier (Gilbert Melki, qui n’a pas grand-chose d’intéressant à jouer ici et se contente de rouler les yeux et de froncer les sourcils pour avoir l’air menaçant).
L’angle est donc moins social que familial : Nathalie, mère seule, un peu dépassée, doit tout mener de front, de l’éducation de ses enfants à la recherche d’un nouvel emploi, dans une ville qu’elle ne connaît pas. C’est, de loin, la partie la plus réussie du film, portée par une Virginie Efira étonnante en mère courage, filmée à la bonne hauteur, sans misérabilisme ni flamboyance. Emmanuelle Cuau ne verse ni dans le mélo, ni dans l’analyse sociale. Il suffit même à la réalisatrice et son actrice de composer, à travers le look et la profession du personnage, le portrait d’une femme sans âge, sans passé, pour que l’imagination du spectateur fasse le reste : sur ce point, le scénario est exemplaire, délesté de toute scène trop explicative et futile.
Petite fin
Dès que la réalisatrice s’aventure sur le terrain plus glissant de l’intrigue à suspense, en revanche, le film s’enlise. Nathalie finit pas trouver un nouveau job dans une bijouterie aux côtés d’une patronne bienveillante. Pour le caïd et sa bande, c’est l’opportunité de faire chanter le fils, puis sa mère… La tension du film se déplace vers la résolution d’un problème (comment Nathalie va-t-elle s’acquitter de la dette de son fils sans perdre son emploi ?) quand, précisément, l’intérêt de Pris de court reposait jusque là sur quelque chose d’indéfinissable, qui évitait les pièges de la catégorisation et permettait à Emmanuelle Cuau d’aller de la comédie dramatique à l’étude de mœurs, du polar au portrait. Avec sa fin en queue de poisson, un peu forcée, bâclée même dans sa volonté de jouer avec les codes du twist inattendu, le film sombre un peu plus vers l’opposé de ce qui faisait son charme : la fuite plutôt que la détermination, le retour à la case départ plutôt que la persistance. C’est un peu triste à voir, et pas bien passionnant à regarder.