Après un premier film fort remarqué, Circuit Carole (1994 avec Bulle Ogier et Laurence Côte), quelques téléfilms honorables, des scénarios pour Jacques Rivette et Pascal Bonitzer, Emmanuelle Cuau sort enfin son deuxième film. Avec Très bien, merci, elle apporte aux comédiens des rôles sur mesure (Gilbert Melki, Sandrine Kiberlain pour ne citer qu’eux) et s’offre un « film-citoyen », comme elle aime à le souligner. Une comédie dramatique juste qui sort quelques jours après le premier tour des élections présidentielles. Un pied de nez à certains candidats…
Il n’est nullement question de politique dans Très bien, merci mais des conséquences de lois, décrets (l’interdiction de fumer par exemple), positions prises par quelques ministres sur le quotidien d’individus ordinaires. Alex, comptable, est marié à Béatrice, chauffeur de taxi. Leur monde pourrait de fait continuer à rouler, à compter mais un soir, Alex assiste à un contrôle d’identité. Au lieu de circuler, il reste. Conséquences : outrage à agent et danger sur la voie publique. Il passe une nuit en cellule et au matin, souhaite comprendre et faire valoir ses droits. Pas de commissaire dans ce commissariat lui répond-t-on, Alex s’entête et finit sa journée en hôpital psychiatrique. À la question « pourquoi ? », ni agent de l’ordre, ni interne, ni médecin, ni patron, ni psychologue ne lui délivrent de réponse. Alex s’insurge contre toutes ces décisions arbitraires (de la mise en cellule à l’internement, du licenciement à l’entretien d’embauche), et finit par outrepasser ses droits.
La méfiance au quotidien, dans la rue, au travail, dans le métro, n’a jamais été aussi mieux filmée et mise en scène que dans cet ironique Très bien, merci. Tout le monde est coupable, même les innocents. La présence obsédante de la police, agents ou caméras de surveillance, insuffle la crainte, voire la paranoïa : le seul havre de paix reste paradoxalement le lieu où la folie est libre, l’hôpital psychiatrique. La réalisatrice a donc pris le parti de filmer au plus près des comédiens, laissant peu d’espace autour d’eux et jouant plus fortement sur un hors-champ qui est ainsi « fliqué » et médicalisé. Emmanuelle Cuau, en cadrant de cette sorte Gilbert Melki ou Sandrine Kiberlain, donne aussi l’impression qu’ils sont surveillés en permanence : la moindre infraction est de suite repérée, repérable.
Mais c’est également avec humour, grâce à des dialogues pertinents, nullement caricaturaux, que le film gagne en profondeur. De l’incompréhension à la révolte, les personnages sont assurés d’être soumis en permanence à une société férue d’ordre et plus encline à enfermer qu’à éduquer, comprendre, saisir. Quelques scènes sont particulièrement réussies (lorsqu’Alex comprend qu’il a été interné de force, lorsqu’il passe un entretien d’embauche) et des premiers aux seconds rôles, les acteurs jouent des individus coincés dans leur métier et leur rôle avec justesse. Très bien, merci d’Emmanuelle Cuau s’attaque ainsi avec humour à une banalité quotidienne qui devrait, justement, ne pas l’être.