Une certaine presse alternative française, agglutinée autour de figures comme François Ruffin ou Pierre Carles, a fini par recracher une idéologie victimaire. Elle est, certes, fondée – nous n’irons pas nous porter défenseurs de la sclérose journalistique des systèmes Bolloré, Bouygues et autres éditeurs superstars – mais simpliste : les rouages de la presse moderne ont beau être marchands, il y a entre ceux qui courbent l’échine et ceux qui écrivent hors système une diversité de journalistes qui connaissent les règles et savent les gérer. A fortiori, ne serait-ce pas la définition même du bon journaliste : celui qui sait faire son jeu et pratiquer son métier au milieu des rapports de force et d’influence ?
Cette question, nous laisserons un hypothétique documentaire y répondre, peut-être, un jour. En attendant, les portes ouvertes, et même immensément béantes, se voient une énième fois enfoncées par ce Profession journaliste. Julien Després semble bien se gargariser de sa prétendue impertinence, toujours est-il que des armées de jumeaux le précèdent, avec en tête Les Nouveaux Chiens de garde et DSK, Hollande, etc… sortis cette année. Là où Pierre Carles biaise maladroitement ses interviews (les gentils, les méchants), Després ne prend même pas la peine d’interroger directement ses ennemis intimes. Menant son ersatz d’analyse en solo, appuyé par quelques sources peu surprenantes (dont l’innommable Julien Brygo), il en dispute aux pires documenteurs amateurs que le web recèle, opérant des rapprochements fumeux avec l’Allemagne nazie (sic), se ridiculisant dans des « trucs » de montage plus vulgaires les uns que les autres. Tout collabore au ressassement de la fadaise rituelle, ne se risquant jamais à mettre en doute une conviction, une parole, à proposer une perspective critique. À peine le niveau est-il relevé de temps à autre par un intervenant au-dessus du lot, par exemple François Ruffin qui, au-delà des apparences, reste une voix pertinente, un authentique penseur du problème et de ses possibilités de résolution.
Pour aller plus loin, il serait aussi intéressant de voir que la question de la pratique même du journalisme, de son contenu, de son éthique, se trouve singulièrement absente du documentaire de Julien Després. Pire, il ne semble pas vraiment conscient que ses moulins à vent ne sont que le reflet de ses propres penchants endoctrineurs : la poignée d’interviews sur laquelle il s’appuie est joyeusement découpée, remontée, mise en dialogue avec tout et n’importe quoi – au détriment, peut-être, de la continuité réelle des entretiens. Certaines anecdotes racontées comportent d’affligeantes zones d’ombre, des purs éléments de style ou de symbole. Bolloré sert du champagne à la presse lors de sa réception : l’image est certes forte mais quelle est la valeur réelle de cette information ? S’arrêter là et laisser le spectateur imaginer le reste, n’est-ce pas une négation totale du journalisme ? Ne peut-on pas dépasser le symbole, interroger le réel, ne pas figer ses croyances ? Du côté, donc, d’une certaine presse alternative où Julien Després rêve son intronisation, il semblerait qu’on ne puisse pas.