Tradition devenue répandue avec le succès grandissants des shockers made in Asia, le remake systématique est devenu une industrie florissante aux USA, rarement pour le meilleur. Pulse reprend le terrifiant Kairo de Kiyoshi Kurosawa : dans le genre, pourtant fertile en mauvais films, c’est un ratage des plus retentissants.
Le travail de critique implique, dans l’idéal, un minimum d’honnêteté intellectuelle. Pour satisfaire un tel souci, jugeons Pulse selon des critères purement cinématographiques. Pour faire simple : le film est une daube abyssale, un monument de néant, un exemple du lieu commun injustifié et benêt érigé en règle. Mal joué, mis en scène avec une tendance prononcée au rien emphatique (concept créé pour le film), scénarisé par un Wes Craven voulant manifestement renouer avec le pire de la série B de grande consommation des années 1980… N’en jetez plus, la coupe est pleine.
Maintenant, il faut noter que, bien malgré lui, le film possède une dimension culturelle intéressante. Il se pose en compendium du comment et du pourquoi de la récupération des films étrangers, outre-Atlantique. Kairo est un film sombre, contemplatif, où l’un des principaux mécanismes de l’angoisse passe par l’inexistence de l’individu au monde. Les protagonistes du film de Kiyoshi Kurosawa n’ont que peu d’identité, sinon comme actants des péripéties du film, aux motivations diffuses. Cette dépersonnalisation est renforcée par l’oppression du décor, et par une mise en scène qui en joue fortement. Le véritable monstre est l’environnement urbain, et son dernier avatar, l’internet, semble créer du lien social alors que dans les faits il isole toujours plus les individus. C’est cette monstrueuse solitude qui est véritablement au centre de Kairo. Si la mort est l’ultime solitude (c’est l’argument horrifique du film), la solitude moderne est la plus pernicieuse des morts. Sur un sujet subversif tel que celui-ci, Pulse chausse les godillots des marines pour se centrer sur l’horreur pure : en cherchant une bande passante toujours plus large, des étudiants en informatique ouvrent la porte à des créatures d’une autre dimension. Le film n’est donc réellement qu’un énième avatar des films de zombies. Le concept socio-philosophique fort du film de Kurosawa est évacué au profit d’un scénar platement linéaire. Mais le plus frappant reste le traitement du personnage. Le spectateur de Kairo ressentait une angoisse terrible quand le film dépeignait son monde, et lui-même, comme une coquille vide qui l’ignorait encore — jusque là. Pulse, lui, remplit un cahier des charges pour placer au centre de l’intrigue un groupe de teenagers archétypaux, notamment grâce à de tonitruants − et fort malvenus − extraits de musique « estampillés culturellement jeune », selon une logique toujours plus communautariste de conception de la musique. Jamais à un seul moment ces personnages ne quittent le centre de l’écran, avec un abus obscène du gros plan. Le sous-discours est clair : aux USA, le shocker moyen est la chasse gardée des meutes de teenagers. Il convient, non seulement de leur renvoyer l’image stéréotypée et amalgamée qu’ils ont d’eux-mêmes, mais surtout de leur donner l’illusion que ces reflets d’eux-mêmes sont le centre physique de l’image, donc du monde.
Vidant le film originel de son contenu intellectuel, en ne gardant que les scènes chocs (dont certaines sont des copies exactes), Pulse s’adresse à un public jeune qu’il décrit lui-même comme profondément déréalisé et vidé de son identité propre. En cela, il sert infiniment le propos de Kairo. La société du premier monde, sursaturée d’images et d’informations mérite plus que jamais le nom de Mass Media, société-ruche où la « culture » unique devient la norme. Et c’est là, profondément, ce qui fait peur dans Pulse.