Adaptation de l’autobiographie homonyme, Qu’Allah bénisse la France retrace le parcours du slameur Abd Al Malik, de la cité du Neuhof au Zénith de Paris. Ainsi, l’histoire vraie veut servir la construction d’une vision personnelle et sincère, inscrite dans l’éternelle course à l’authenticité du cinéma de banlieue. Avec un regard sans concession mais un discours gorgé d’espoir et d’optimisme, Abd Al Malik livre un essai vivifiant, mais un tantinet moralisateur.
« Une parole de paix »
Qu’Allah bénisse la France, c’est l’histoire d’une réussite digne du rêve américain. Pourtant nous sommes en France, dans une cité strasbourgeoise, loin de la barrière du périphérique, souvent si épaisse et infranchissable dans les films de banlieue pour des anti-héros attirés par la capitale comme un aimant. Le jeune Régis a donc bien des obstacles à dépasser pour réaliser son rêve : vivre de sa musique. En attendant, les vols à la tire et le deal de drogues douces permettent de financer quelques séances d’enregistrement et des virées entre copains. Le lycéen exemplaire, poussé par son professeure à candidater en prépa littéraire, joue les mauvais garçons pour se remplir les poches, mais surtout pour rester en phase avec sa bande. Marginal dans la marge, le jeune rappeur est un personnage inédit dans l’imagerie cinématographique des banlieues françaises, partagée entre archétypes pessimistes (de La Haine à L’Esquive) et rêveurs excentriques (de Tout ce qui brille aux Kaïra). Abd Al Malik aborde aussi frontalement la place de la religion dans sa construction personnelle, comme il le faisait dans son autobiographie écrite, et avant cela dans le bel essai La guerre des banlieues n’aura pas lieu. À l’écran, des adolescents réfléchissent donc sur leur foi et lui donnent un sens, même si leur pratique est balbutiante. Un discours sans détour, apaisé, rare. L’écriture d’Abd Al Malik est toujours touchante : il le prouve encore, avec cette capacité à mêler dans un même élan drame et comédie, comme dans ses albums. Qu’Allah bénisse la France ressemble beaucoup à sa musique : mélodieuse, rythmée, élégante, avec cette pointe de pédagogie, cette envie permanente de faire sens, ce besoin de convoquer des références nobles. Si la démarche est toujours louable, la démonstration s’avère parfois trop édifiante, en musique comme au cinéma.
« Je regarderai pour toi les étoiles»…
La mise en fiction d’une histoire vraie, par celui qui l’a vécue, génère un positionnement délicat, du fait d’une démarche un peu schizophrénique de relecture de son propre passé. En 2005, le rappeur Disiz La Peste interprétait un rôle proche du sien, devant la caméra de Denis Thybaud pour Dans tes rêves, entre responsabilités familiales, galère professionnelle et aspirations artistiques. La distance entre réalité et fiction était déjà faible (le film aussi). Abd Al Malik, né Régis Fayette-Mikano, abolit complètement cette frontière, mais se choisit un double de cinéma en la personne de Marc Zinga, dont le timbre de voix, étrangement proche de celui du slameur, rend l’incarnation troublante. La photographie de Pierre Aïm, responsable de l’image de La Haine, doit ici servir de filtre à l’autobiographie, pour en faire un récit paradigmatique. Mais ce noir et blanc tranché vient aussi convoquer volontairement une référence filmique si souvent activée depuis vingt ans et, avec elle, son lot de lieux communs : le rejet en boîte de nuit, les deals à la sauvette, le tabou du métissage, le quotidien en famille monoparentale, la spirale la violence, les dangers de la drogue… Évidemment, au-delà des clichés, il y a les souvenirs réels : mais la force du vécu fait-il forcément l’intérêt de la fiction ? Le filtre mince du noir et blanc ne peut masquer cette réalité parfois gênante : une absence de distance, où la démarche ne flirte certes pas avec le narcissisme, mais plonge Abd Al Malik dans un besoin compulsif d’exhaustivité et une émotion démonstrative. Qu’Allah bénisse la France marque par sa sincérité et par l’énergie positive qu’il construit, mais pèche par une naïveté affectée.