Le sujet est casse-gueule, souvent prétexte à des montagnes de situations téléphonées, d’interprétations grotesques d’acteurs en mal d’Oscar et de bandes originales pompières qui abusent des violons et des ritournelles pop aseptisées. Des téléfilms ronflants diffusés sur M6 en milieu d’après-midi aux œuvres plus prestigieuses portées par des grands noms, le deuil d’un enfant a toujours inspiré le cinéma, hollywoodien ou européen : le mettre en scène, c’est l’exorciser. John Cameron Mitchell, réalisateur des flamboyants Hedwig and the Angry Inch et Shortbus, n’était a priori pas le cinéaste idéal pour porter à l’écran l’histoire d’un couple qui tente de trouver un sens à sa vie après la perte de son jeune fils. Pourtant, en choisissant de rester sur le fil du rasoir, Mitchell maintient une tension qui ne faiblit jamais, creusant jusqu’à l’os dans la chair de ses personnages qui, exsangues, semblent constamment se demander s’il y a une limite à la douleur.
La souffrance, justement, Becca fait semblant de ne pas la ressentir. Le deuil de son fils de quatre ans, renversé par une voiture juste devant sa maison, est plié comme ses vêtements qu’elle tente de refourguer à sa sœur enceinte. Les réunions de parents endeuillés qui s’apitoient sur leur sort ? Trop peu pour elle. Becca s’ennuie dans sa maison, elle veut la vendre et reprendre son travail, retrouver une vie normale, avec sa famille, avec ses amis, avec son mari Howie. Lui, par contre, aime se réfugier dans les souvenirs. Des vidéos des jours heureux enregistrées sur son téléphone portable, à la chambre du petit garçon restée intacte, Howie avance dans la vie comme si son fils allait réapparaître subitement, comme il le dit lui-même à un couple venu visiter la maison. Howie aime bien les réunions avec des parents qui pleurent : le malheur des autres semble atténuer son chagrin.
John Cameron Mitchell déroule son film comme un succession de vignettes qui illustrent le quotidien du couple, huit mois après la tragédie. Le réalisateur évite soigneusement la facilité, faisant de Becca et Howie un couple aimant que les déchirures ne parviennent pas à séparer, malgré le désir qui ne revient pas, malgré les routes qui semblent prendre des directions opposées. La mère de Becca, elle-même empêtrée dans un deuil qu’elle porte sur son visage comme un fardeau dont elle ne peut − ni ne veut − se débarrasser (fantastique Dianne Wiest), ne comprend que trop bien sa fille mais ne peut rien pour l’aider. Dans la petite ville banale de banlieue américaine où se déroule l’action, tout se ressemble et tout semble mort : comme des papillons sous une cloche de verre, les personnages se cognent contre les parois de leur vie et ne savent pas comment y échapper.
Bien sûr, la tension monte inévitablement et John Cameron Mitchell parvient à doser les moments où ses personnages explosent. Si certains détours scénaristiques semblent parfois convenus (une amitié incongrue par ici, une tentation d’infidélité par là), le réalisateur a le bon goût de ne pas s’appesantir et laisse le soin à ses comédiens de prendre tout l’espace nécessaire pour faire résonner des dialogues qui, ailleurs, pourraient sembler un peu trop écrits mais qui, par la grâce des interprètes, sonnent juste. Tout le monde est parfait, mais c’est Nicole Kidman, nommée à l’Oscar pour le rôle, qui épate. Visiblement revenue de ses injections de Botox, l’actrice n’a pas semblé si vraie depuis des lustres (on croit retrouver comme par magie la toute jeune débutante de Calme blanc). Quand la femme arrogante accepte de redevenir la mère endeuillée qu’elle a toujours refusé d’être, la magie du cinéma opère, et c’est toute l’ambiguïté du beau mélodrame (grosses ficelles maniées avec la dextérité d’une couturière) qui serre le cœur du spectateur.