Critique : Raisons d'État, de Robert De Niro

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4 juillet 2007

Raisons d’État (The Good Shepherd)

Il était une fois en Amérique

Alors qu’on n’attendait plus grand-chose de lui devant la caméra, Robert De Niro surprend derrière avec Raisons d’État, second long métrage exigeant et rigoureux coproduit par Francis Ford Coppola et réalisé treize ans après le lointain Il était une fois le Bronx. Dans le désert estival, inutile de dire qu’il s’agit d’une bonne nouvelle.

Ne point se soucier de la durée rédhibitoire (environ trois heures) affichée par le nouveau film de Robert De Niro : il serait sot de snober les joies revigorantes de Raisons d’État qui, dans ce qu’il raconte, décortique et assène, se révèle infiniment plus passionnant que n’importe quelle fiction actuellement à l’affiche. Point barre. La substance est telle qu’on pourrait presque le regarder comme un feuilleton télévisuel avec une myriade de retournements de situations excitants qui instillent le suspense (qui est qui ? qui manipule ?) et provoquent l’attente (impossible de deviner ce qui nous attend au détour du plan suivant). L’inconvénient, c’est qu’à chaque moment, on se dit qu’il aurait peut-être gagné à être fractionné par souci de cohérence. Nullement encombré par la lourdeur de son programme scénaristique, De Niro se contente astucieusement d’œuvrer dans la case minimaliste et de faire fureter sa caméra dans les zones d’ombre d’un personnage singulier, incarné par un Matt Damon métamorphosé et inspiré de la vraie vie du fondateur de la CIA : James Jesus Angleton. À travers lui, on découvre les balbutiements de la CIA durant la Seconde Guerre mondiale. L’intrigue zigzague avec un sens du ludisme et une élégance insoupçonnée entre les traquenards ourdis et les écheveaux sentimentaux. En tentant de se frayer un chemin dans une atmosphère délétère et morne digne d’une chapelle de plomb.

D’aucuns pourront toujours trouver qu’avec un sujet d’une telle ampleur il aurait été plus intense de montrer les répercussions géopolitiques de la CIA. Mais De Niro opte pour l’humain, l’imperfection, le doute et fustige toute forme d’exposé didactique. L’allégorie politique avec ses soubresauts historiques (la baie des Cochons, la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide), signifiés et délimités par des images d’archive, ne plombe pas l’acuité du portrait gangrené par le climat suspicieux de l’époque. L’air de rien, il rappelle que classicisme et académisme ne signifient pas la même chose. Voilà pourquoi sa forme (sobre) et son fond (triste) fonctionnent en totale adéquation et annihilent toute tentation poseuse. À travers cette complicité, De Niro ne bombarde pas d’informations pesantes mais implique le spectateur dans des méandres brumeuses et névrotiques où le spectateur doit recomposer tout seul comme un grand un puzzle qui révèle en creux les obsessions intérieures du cinéaste (la foi sacro-sainte en une certaine Amérique, le vernis craquelant d’un pays fantasmé et phagocyté). Dans sa démarche, il a bénéficié du script robuste d’Eric Roth, scénariste du Munich, de Steven Spielberg, dont la rigueur ne bride pas le divertissement. L’intrigue dense et fluide comme un cauchemar éveillé et monochromatique repose par ailleurs sur un McGuffin que l’on découvre au début et dont on ne comprendra la totale signification qu’à la toute fin.

La mise en scène appliquée et solide assure sans esbroufe la tonalité paranoïaque et met subtilement en valeur deux trois métaphores bien senties. Il est d’ailleurs rare dans un film qu’un premier plan suffise pour résumer trois heures de bobine. La surprise est telle qu’on a le droit d’être moins sourcilleux sur les écueils noyés dans l’océan de qualités : Bob abuse notamment de flash-backs et de flash-forwards pour créer une dynamique totalement superfétatoire étant donné que la nature du récit se suffit à elle-même et donc à être captivante. En revanche, il maîtrise plus que bien l’atmosphère torve qui donne au film sa couleur décharnée et son goût moite. Reflet maussade et idoine de la vie schizophrène d’un protagoniste dont les secrets et mensonges empêcheront toute forme d’épanouissement personnel. En résulte une fiction rigoureuse et exigeante dans le meilleur sens du terme, discrètement subversive, qui évoque le Frankenheimer des années 1970. Ce n’est pas rien.

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Robert De Niro, Romain Le Vern

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