Dans sa série Ray’s a laugh réalisée entre 1990 à 1996, le photographe Richard Billingham a documenté le quotidien pour le moins chaotique et singulier de ses parents, couple sans emploi avec deux enfants à charge dans la banlieue pauvre de Birmingham. Ray & Liz s’inscrit dans la continuité de ce projet puisque l’artiste y dépeint deux épisodes de sa jeunesse illustrant les caractères en tous points opposés du discret Raymond et de l’imposante et autoritaire Elizabeth. À mesure que le film se focalise sur différents membres de la famille, un doute subsiste quant au point de vue qu’il souhaite véritablement adopter. Le premier souvenir, centré sur une plaisanterie cruelle dont est victime le frère de Ray, se déroule dans un petit pavillon dont l’intérieur est saturé par une décoration foisonnante et cerné par plusieurs animaux domestiques. Si les clichés de Billingham puisaient leur force dans la spontanéité du réel, leur reconstitution cinématographique est marquée d’un souci du détail, rendant la famille indissociable de son habitat. À l’image de leur lieu de vie, toujours plus surchargé, le couple s’emploie à occuper sa routine par tous les moyens. La mise en scène fait la part belle aux gros plans et témoigne une attention toute particulière à la gestuelle des personnages ; Liz en particulier se livre constamment à un quelconque hobby une cigarette à la main. Filmé en 16mm, Ray & Liz est de surcroît ponctué de nombreux surcadrages (plans sur les fenêtres, sous la structure du lit…) qui orientent le regard et restructurent une image déjà restreinte par le format 4:3. Cantonné à ses réflexes de photographe, le réalisateur se tient à distance de ses personnages qui a contrario, se confrontent sans cesse à leurs propres limites (comme dans un jeu, Ray remplit en permanence ses verres à ras bord) ou bien les dépassent : vomis, urine ou larmes parsèment le film et constituent alors autant de signes d’un débordement.
Ordonner la mémoire
Dans la deuxième partie, Ray et Liz habitent cette fois un appartement où ils occupent le plus clair de leur temps à dormir, tandis que leur plus jeune fils, Jason, passe le sien au zoo quand il devrait être à l’école. Au-delà du caractère autobiographique de sa démarche, Billingham tombe régulièrement dans le piège de l’illustration en faisant de son passé un objet de fétichisme. Un plan présente ainsi Elizabeth en train de reconstituer un puzzle dans son salon pendant que le cadet passe la nuit dehors à l’insu de sa famille. Le support sur lequel s’amoncellent les pièces du jeu, fragments d’une nouvelle image, n’est autre qu’une peinture représentant un jeune garçon en pleurs (que l’on pouvait déjà apercevoir dans le décor de la première maison). Dans le plan suivant, c’est le visage de son fils, allongé dans le froid sous un abri de fortune, qui occupe le cadre en lieu et place du portrait sur lequel le puzzle était installé. Fait notable : c’est la mère d’un camarade qui le recueille le lendemain, lui adressant les seuls gestes rassurants et affectueux que le film donne à voir.
Dans une troisième temporalité sur laquelle s’ouvre et se ferme le récit, Ray – désormais vieilli et séparé de Liz – est celui par qui transite la mémoire du passé. Des séquences claustrophobiques le présentent cloîtré dans sa chambre et les transitions vers les souvenirs sont amorcées alors qu’il reste songeur devant sa fenêtre ou dans son lit. Pour garder un contrôle méticuleux de son objet, le réalisateur se voit forcé de recoller les morceaux d’une chronologie à laquelle il n’a pas pu entièrement prendre part, comme en témoigne la place de son propre personnage, Richard, relayé à un second rôle mineur et peu présent. Mais là où son travail de photographe se voulait poignant et perspicace, sa mise en scène dans Ray & Liz corsète les pulsions autodestructrices des personnages plutôt que de les laisser éclater.