Voilà quatorze ans, Hans Petter Moland se faisait connaître avec Aberdeen, déjà avec Stellan Skarsgård, déjà une plongée dans la société des franges de la légalité. Refroidis passe la frontière, et aborde le sujet des gangs dans les paysages enneigés de la Norvège. D’un côté, les malfrats locaux, de l’autre, la mafia des pays de l’Est. Au milieu, Stellan Skarsgård campe Nils, un père dont le fils a été mêlé à une mini arnaque, et l’a payé de sa vie. Il est donc, évidemment, temps de se faire justice.
Anesthésiés
Lors de sa première séquence, le réalisateur place d’emblée son récit sous le signe de l’absurde : Nils a en effet, eu égard à ses efforts constants de déneigement des routes locales liés à sa nationalité suédoise (« c’est pas tout le temps que les immigrés s’intègrent bien »), été distingué comme citoyen de l’année. De la cérémonie, on n’entendra, hors champ, que les paroles bougonnées par un Nils réalisant la fatuité de la chose : l’homme ne semble pas s’embarrasser de frivolités. Aussi, lorsqu’on lui apprend la mort par overdose de son fils, il refuse le diagnostic, se met en tête de découvrir les responsables, et de les faire payer.
Skarsgård compose un personnage hagard mais inamovible (n’est-il pas le conducteur de la machine à déneiger, une mécanique brutale et destructrice, que rien n’arrête ?), à la tristesse et aux doutes intériorisés : le propos de Hans Petter Moland n’est pas de s’interroger sur la déchéance immédiate d’un parent dont l’enfant est assassiné. Le réalisateur compose plus volontiers une vanité, dont le pivot, le déclencheur est le personnage de Nils – un personnage qui, pourtant, ne bénéficie d’aucune compassion.
Viande froide cornichons
À la mort de la première victime de la vengeance de Nils, l’écran vire au noir. Puis, vient un nom, flanqué d’une croix chrétienne. Suivront toutes les autres victimes : orthodoxes, juives, chrétiennes – toutes auront droit à leur faire-part, dans un effet d’accumulation à l’humour glacial. Hans Petter Moland ne s’appesantit pas sur la violence, souligne à quel point le désespoir, et la détermination subséquente, d’un homme peuvent rendre fragiles, dérisoires, ceux qui se mettront en travers de son chemin. Bien vite, l’humour très froid laisse la place à une étrange mélancolie : le statu quo entre gangs a volé en éclats, et la spirale destructrice est enclenchée. Rien n’arrêtera le massacre, qui prend son origine dans une incompréhension, et ne sert aucune cause.
Le réalisateur ne cherche jamais l’emphase, la romance : ses protagonistes sont de pauvres types, auxquels il suffit d’un moment pour retomber en enfance, pour quitter le réel. Dans ces moments particulièrement, Refroidis rappelle les polars désabusés de Takeshi Kitano, et tout spécialement Sonatine – mélodie mortelle. Les yakuzas de Kitano, lassés de guerres de gangs auxquelles ils ne comprennent rien, deviennent littéralement des combattants de papier : il en va de même des porte-flingues de Moland, guère plus substantiels que des bonhommes de neige face à la machine à déneiger de Nils.
Parsemant son récit de scènes à l’humour féroce, portées par les personnages des chefs de gangs, respectivement interprétés par un Pål Sverre Hagen en roue libre et un Bruno Ganz inquiétant, Hans Petter Moland s’attache à briser les codes du récit de gangsters pulp. Le film s’achemine donc librement vers une précieuse conclusion muette, délicate et touchante.