Sound of Noise l’a bien dévoilé, les comédies nordiques (ici norvégienne) surprennent et peuvent même apparaître comme une valeur refuge pour l’exotisme constant de leurs propositions. Au tour aujourd’hui d’une comédie loufoque qui suit la réinsertion d’un ex-criminel de parvenir jusqu’à nous. Bénéficiant d’un scénario équilibré entre comique de situation et ambiance noire, Un chic type s’avère être une surprenante comédie qui, sur un sujet délicat, dispense un rire empli de poésie.
C’est une légère torpeur qui étreint le grand Ulrik lorsqu’il découvre face à son regard de chien battu une ligne d’horizon qu’il n’avait plus vue depuis des lustres. Sous un ciel gris et bas, son corps massif et son visage de Bill Murray scandinave se retournent alors une dernière fois vers sa geôle avant d’aller se réfugier, sans grand allant, dans le tripot du coin. Il y revoit son ancien boss mafieux flanqué de son acolyte, duo de truands à la petite semaine qui ne brille pas par son intelligence. Perdu et abandonné de tous, le taiseux se laisse porter par ces derniers qui lui ont trouvé un meublé et un job de mécanicien. Or, de la location d’un sous sol tenu par une vieille ménagère au garage où il travaille, on ne peut pas dire qu’Ulrik (et son lourd passé) soit accueilli des plus chaleureusement. Alors qu’il a réglé sa dette envers la société et qu’il s’échine à reprendre une activité légale, Ulrik garde, aux yeux des autres, les mains sales. Il est ainsi doublement condamné. Voire triplement car, durant ses douze années passés derrière les barreaux, son boss a versé à sa femme la pension de son fils. Pour rembourser ses dettes, l’ex-taulard est sommé d’abattre le mouchard qui l’a envoyé au placard. Désireux de s’écarter des affaires louches mais un peu trop idiot pour refuser quoi que ce soit, Ulrik sera-t-il capable de choisir entre le rafistolage de sa vie émiettée ou une solution plus franche et expéditive ?
Présenté ainsi, l’histoire d’Un chic type a tous les contours du film noir sur fond social. C’est au fond le cas, mais la lourde menace qui pèse sur son pitch est constamment dépressurisée par des situations loufoques et des dialogues ciselés. Ainsi, le personnage d’Ulrik est projeté dans un monde où ses pairs sont comme travaillés par une étrange folie et une suspicion commune à l’égard des autres. Les pieds bien ancrés sur terre, d’une gentillesse un peu simplette, Ulrike sert ici de page blanche et de pivot qui voit défiler une humanité déréglée. Cela va de la vieille misanthrope qui l’accueille chez elle et qui finira par le prendre en otage et l’obliger à la culbuter. En passant par la bêtise de son patron mafieux qui, par ses manigances et ses échanges avec son acolyte, appelle des gags toujours bien accueillis. Enfin, du rondelet garagiste qui ne communique qu’avec lui-même en débitant des monologues proches de maximes amères.
Face au mutisme d’Ulrik (superbement interprété par un fidèle du cinéma de Lars Von Trier, Stellan Skarsgård), cette drôle de galerie fonctionne à plein et permet d’embrancher d’autres intrigues qui soutiennent la mécanique comique du film. Aussi, et un peu à la manière des frères Coen, le physique ingrat, décrépit, de tous ces personnages restent une manière de délocaliser les figures du film noir pour les rendre aussi pathétiques que drôles. Enfin, axé vers la marge, l’objectif d’Un chic type glisse entre tous, sans jamais surplomber ceux qui se démènent avec leurs stratagèmes mesquins et leurs chiennes de vie.
Ces personnages seront par la suite contrebalancés par d’autres (le fils d’Ulrik, l’amoureuse cabossée) qui gagneront en relief à la suite d’un virage, sans doute plus poli, mais bien troussé et à l’issue surprenante. Forcément moins rigolards, ces beaux moments répercutent ce mélange d’étrangeté et de délicatesse qui fait tout le charme (discret) d’Un chic type. On pourra peut-être reprocher au réalisateur d’avoir fait d’Ulrik un type particulièrement doux au vu de son casier judiciaire, mais là n’est pas la question. Bien au contraire, quid de la réinsertion aujourd’hui ?
Un chic type plaide contre l’insidieuse double peine infligée aux prisonniers à leur sortie de prison. Son réalisateur prône, sans pour autant en faire une tribune, une seconde chance à ces individus qu’on lâche dans un monde où, sous couvert de réussite sociale, la compétition anime les plus vils instincts. Mais au lieu de dérouler fresques tragiques et discours lacrymal sur ce genre d’injustice, on pourra remercier l’inestimable politesse de Hans Petter Moland de nous offrir ce constat par un rire fin et jamais complaisant. Ainsi, c’est grâce à sa justesse de ton et sa drôle de sensibilité qu’Un chic type peut se targuer d’être une des belles réussites comiques de ce début d’année. Qui par sa manière de mêler noirceur du propos et excentricité (voir le drôle emploi d’une rythmique salsa) n’aurait pas à rougir face aux films un peu cousins du jeune cinéma roumain. Décidément, le cinéma scandinave, sous le haut patronage d’Aki Kaurismäki, dégivre les cœurs et réchauffe l’atmosphère en nous envoyant ces revigorantes pellicules venues du froid.