Après Mondovino, Jonathan Nossiter passe à la fiction en dressant le portrait foutraque et lourdingue d’une poignée d’expatriés au Brésil. Pris au second degré, son film n’en a pas moins une liberté rassérénante.
Les premières séquences font craindre le pire. L’image est laide, numérique qualité amateur, bien que l’œuvre de Lubomir Bakchev, le chef opérateur d’Abdellatif Kechiche. Tout semble improvisé, sans scénario, sans personnages (le synopsis cite directement le nom des acteurs) avec Charlotte Rampling et Bill Pullman en mode cacheton. Le propos du film est asséné au marteau-piqueur à coup de scènes sur-signifiantes. Est-ce possible de concilier bonheur individuel et justice sociale ? Peut-on faire coïncider ses actes avec sa morale ? Comment s’accepter comme corps, comme être de désirs et de fantasmes, autant bandant que pensant ? Que des questions qui feraient d’excellents sujets de dissertation au bac philo et que les lycéens traiteraient sans doute avec ni plus ni moins de clichés que Jonathan Nossiter. Chaque personnage renvoie à un archétype social ou émotionnel : l’aristocrate fuyant mari et confort occidental, le « fils de » en quête d’aventure, le loser romantique, l’Indienne naïve…
L’étude anthropologique à la truelle se mâtine d’un rocambolesque pataud (les scènes de poursuite au ralenti), d’un humour gras, boulevardier avec tromperies à tous les étages et amant dans le placard, le tout lesté par des mimiques exagérées pour renforcer l’effet comique comme au bon vieux temps du cinéma muet. Plus grave, au fil des minutes, on en vient à penser que Jonathan Nossiter est tout à fait ce qu’il critique à l’écran. Un bourgeois-bohème marié à une Brésilienne, venu vivre à Rio, et bien empêtré par son habitus, au point de décrire les favelas comme des bourgades certes défavorisées mais pas si violentes qu’on veut bien le dire (mon œil), avec des pistolets qui ne sont qu’à eau.
À partir du moment où l’on renonce à attendre quoi que ce soit du film, le métrage étant suffisamment long pour favoriser cette prise de distance, certaines qualités apparaissent. Notamment dans la mise en scène des corps. Jonathan Nossiter en donne une vision frontale. Culs nus, petits seins, gros nez, et sexes qui pendouillent se succèdent à l’écran, comme une folle farandole, touchants par leur ridicule. On est très loin du puritanisme américain (le sexe ça fait vendre, mais c’est mal), du psychologisme européen (le sexe ça donne à penser, vu que c’est freudien), de l’érotisation sado-maso asiatique (le sexe, c’est du dominant/dominé, du rapport de classe en action), bref où tout coït filmé de part et d’autre du globe revêt une portée esthétique, se trouve intellectualisé. Avec Rio Sex Comedy, Jonathan Nossiter se place ailleurs, en érotomane assumé, en rousseauiste militant, qui aime les paradoxes et les ambivalences de ses congénères, qui s’attarde deux heures durant sur le grand n’importe quoi humain, version Pascal Thomas des années 1970. Même incluse dans un mauvais film, tout à fait dispensable pour qui voit le cinéma comme autre chose qu’un passe-temps, cette ode décomplexée à la liberté fait du bien aux neurones.