Les premières minutes de Rouge laissent entrevoir une étonnante greffe : non seulement le film se réapproprie l’horizon du film-dossier à l’américaine (on pense notamment à Dark Waters), qu’il mêle à un drame social plus traditionnellement français, mais il opère au passage un drôle de télescopage scénaristique qui lui permet, du moins sur le papier, d’offrir une vision transversale de la société d’aujourd’hui. Nour (Zitah Hanrot), infirmière aux urgences traumatisée par la mort d’une patiente, quitte son service pour rejoindre l’usine chimique où travaille son père Slimane (Sami Bouajila), délégué syndical et soutien par défaut du candidat écologiste de la région. Si cet entrelacs de pistes (on passe coup sur coup de la situation critique de l’hôpital public au monde ouvrier, puis au militantisme et au syndicalisme) donne parfois le sentiment d’assister à un rafistolage permettant de couvrir différentes questions et pratiques politiques, réduites généralement à une vignette (une réunion publique, un court échange entre Slimane et des militants d’extrême-droite, etc.), il ouvre toutefois sur la possibilité d’une lecture conjointe de différentes questions idéologiques, et en particulier écologiques, puisque Nour comprend rapidement que les déchets toxiques produits par l’usine ont un impact sur l’environnement et la santé des ouvriers. Pour ce faire, le film organise, toujours sur le principe de « une idée = une scène unique », des micro-confrontations entre une gauche « traditionnelle » (que représente Slimane) et la génération suivante (incarnée par Nour), plus sensible aux questions environnementales, ou encore entre les écologistes eux-mêmes (la scène de ménage entre la journaliste campée par Céline Sallette et son conjoint, qui prône une ligne écoterroriste).
En dépit de cet atypique assemblage, le film s’achemine hélas vers une double impasse. D’une part, de mise en scène : la figuration du processus d’enquête et de collecte des informations accouche de séquences et d’images stéréotypées. Par exemple, à plusieurs reprises, la découverte d’une information cruciale est représentée par une suite de documents que l’on extrait d’une étagère et que l’on feuillette, ou par un personnage fronçant les sourcils devant un tableau Excel. On entend que ces actions-là sont peu cinégéniques, mais on ne peut que regretter que le film décalque à chaque fois l’image la plus générique pour mettre en scène telle ou telle situation. D’autre part, de scénario : les pistes brassées par le récit sont subsumées sous une intrigue intime, la relation entre Nour et Slimane, qui se délite à mesure que la fille se révèle déçue par l’attitude de son père. Le film prend tout de même un peu lorsqu’il brosse le portrait d’un amour père-fille abîmé (belle idée, hélas à peine filmée, à la toute fin : au moment de s’étreindre à nouveau, Slimane découvre et caresse du doigt la cicatrice que cette aventure a laissée sur le visage de Nour), sans que ne se dissipe toutefois l’impression que le récit, en dépit de ses multiples fils, s’est vu rattrapé par une série de conventions et de choix attendus.